De l’eau de pluie plein les tuyaux
Éconeau veut démocratiser la récupération des eaux pluviales
Le Québec regorge d’entrepreneurs passionnés qui tentent de mettre à profit une idée ou un concept novateurs. Chaque semaine, Le Devoir vous emmène à la rencontre de gens visionnaires, dont les ambitions pourraient transformer votre quotidien. Aujourd’hui, un duo pèrefille qui pourrait vous permettre d’économiser des millions de litres d’eau.
Après avoir décroché un diplôme en tourisme, MarieClaude Chevrette bouillonnait d’idées. Elle voulait se lancer en affaires, voler de ses propres ailes. Elle couchait sur papier des plans d’affaires, les uns après les autres, à la recherche de l’idée qui l’inspirerait. C’est finalement l’idée qui est venue à elle.
En 2008, le chalet familial manque d’eau lorsqu’un tremblement de terre affecte le puits artésien. «C’était devenu problématique. Il fallait faire de la gestion pour les douches, l’eau des toilettes, le lavage», explique Marie-Claude.
Son père, Claude, un inventeur
doué en mécanique, décide de remédier à la situation en mettant au point un système pour récupérer l’eau de pluie. Pendant qu’il développe les prototypes, sa fille flaire la circonstance opportune.
«J’avais déjà fait un plan d’affaires pour l’entretien ménager. Ensuite, pour un hôtel. Mais quand est venue cette idée du système de récupération d’eau de pluie, une lumière est apparue, affirme-telle. Je savais que c’est ça que je voulais faire. »
En 2011, elle lance officiellement Éconeau, tout en conservant son emploi dans un hôtel de Québec. Jusqu’à ce que le couperet tombe au sein de l’établissement, en février 2012. «Je me suis dit: “La vie me parle” », se souvient-elle.
À partir de ce moment, elle
a littéralement tout donné pour assurer le succès de l’entreprise familiale.
Système novateur
Le système mis au point par Éconeau permet de récupérer l’eau de pluie qui s’accumule sur les toits. L’eau qui descend par la gouttière est filtrée avant d’arriver dans un réservoir, généralement enfoui sous terre. À la différence des barils conventionnels, le récipient évacue le trop-plein pour éviter que l’eau stagnante permette aux bactéries de proliférer.
L’eau du réservoir est finalement pompée vers l’intérieur de la maison, pour alimenter la toilette, la douche ou la laveuse, ou dans un tuyau extérieur, pour laver l’auto, arroser les plantes ou remplir la piscine. Tous les usages sont permis, à
l’exception de la consommation humaine.
« C’est un système qui utilise l’eau de pluie comme si c’était de l’eau provenant de la ville», assure Marie-Claude.
L’objectif est de réduire la quantité d’eau distribuée quotidiennement à chaque Québécois, qui a atteint 573 litres en moyenne en 2015, selon le plus récent bilan annuel du gouvernement du Québec. Cette quantité diminue graduellement depuis 2011, mais les Québécois consomment toujours près de 100 litres de plus que les Canadiens chaque jour.
Viser les villes et les entreprises
L’entreprise a installé ses premiers systèmes sur des maisons, mais depuis 2014, elle s’attaque aux secteurs commercial, industriel, municipal et agricole. Depuis ses débuts, elle a réalisé une centaine de projets et tire aujourd’hui les deux tiers de ses revenus de ces nouveaux marchés.
«Avec les certifications écologiques, les municipalités qui doivent montrer l’exemple aux citoyens et le gouvernement qui construit ses nouveaux bâtiments de manière écologique et responsable, nos systèmes à grand volume représentent une solution idéale», soutient Marie-Claude.
Les réservoirs résidentiels peuvent contenir entre 1200 et 9000 litres d’eau de pluie, tandis que les récipients industriels peuvent avoir une capacité dépassant les 100 000 litres. La seule limite est l’espace disponible pour les enfouir.
Éconeau a par exemple installé un système muni de deux réservoirs de 15 000 litres au nouveau siège social montréalais d’Ericsson Canada, en bordure de l’autoroute 40, et un système d’une capacité de 30 800 litres au pavillon Alouette de l’Université du Québec à Chicoutimi.
Obstacle imprévu
Marie-Claude Chevrette admet que son père et elle ont dû travailler d’arrache-pied pour faire croître l’entreprise. D’abord, en réglant les problèmes techniques qui viennent avec le développement d’un nouveau système, puis en convainquant les clients que la récupération de l’eau de pluie «n’est pas une affaire de hippie ».
En 2013, l’entrepreneure a également dû surmonter une épreuve inattendue : à 32 ans et à quelques jours de son mariage, elle reçoit un diagnostic de cancer du sein. Elle prend quelques jours de congé pour se remettre de l’opération, mais elle continue de rencontrer des clients pendant ses traitements de chimiothérapie.
«Je ne pouvais pas arrêter, dit-elle sans hésiter. L’entreprise était en plein démarrage.»
Aujourd’hui, la jeune femme est en pleine santé et continue de développer des projets. Elle vise le marché de l’Ontario au début de l’an prochain et celui du nord des ÉtatsUnis par la suite.
À terme, elle souhaite que l’économie d’eau potable et la réutilisation de l’eau de pluie deviennent la norme. «Un jour, l’installation de systèmes comme le nôtre va être obligatoire, prédit-elle. Aujourd’hui, quand les gens achètent des mouchoirs, ils disent qu’ils achètent des Kleenex. Quand ils vont acheter un système de récupération d’eau de pluie, ils vont dire qu’ils achètent un Éconeau.»