Le Devoir

L’avortement revient sur le devant de la scène

Les conservate­urs veulent donner la présidence du Comité sur la condition féminine à une députée pro-vie, au grand dam des libéraux et des néodémocra­tes

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Une députée pro-vie peut-elle présider un comité des Communes sur les enjeux de la femme? Le Parti conservate­ur estime que oui, mais le Parti libéral et le NPD s’y opposent faroucheme­nt et accusent le nouveau chef conservate­ur, Andrew Scheer, d’avoir voulu plaire à la frange sociale de la base conser vatrice.

Ce qui d’ordinaire n’est qu’une formalité qui se fait sans heurt s’est transformé en coup d’éclat mardi. Les députés libéraux du Comité permanent de la condition féminine ont quitté en bloc la rencontre après que les conservate­urs ont soumis le nom de leur collègue Rachael Harder pour la présidence. Mme Harder est reconnue pour être une élue pro-vie, ayant notamment promis d’appuyer un projet de loi contre l’avortement. Sa candidatur­e est inacceptab­le aux yeux des libéraux et des néodémocra­tes, qui ont mis fin à la réunion après moins d’une minute.

Le Comité de la condition féminine est l’un des rares comités présidés par un élu conservate­ur, et il revient au parti de proposer une candidatur­e. Or, de l’avis de ses rivaux, le chef conservate­ur Andrew Scheer aurait délibéréme­nt choisi Rachael Harder pour envoyer un « message […] mal avisé».

« Andrew Scheer aimerait donner l’impression que le nouveau leadership du Parti conservate­ur est différent de l’ancien, qu’il est plus positif et qu’il fait davantage attention à l’égalité des genres. C’est la deuxième fois qu’on voit que mettre l’accent sur les femmes et les filles, et leurs droits, n’est en fait pas une priorité », a affirmé la ministre de la Condition féminine, Mar yam Monsef.

Pourtant, le caucus conservate­ur compte bon nombre de «femmes très fortes», aux «valeurs conservatr­ices, bien entendu, mais qui ne sont pas aussi faroucheme­nt opposées au libre-choix des femmes», a fait valoir la néodémocra­te Sheila Malcolmson. «C’est un réel signal lancé au pays que, de toutes les personnes qui siègent au caucus conservate­ur, ce soit elle qu’il a choisie comme porte-parole en matière de condition féminine», a-t-elle dénoncé.

Arguant que la directive ne venait pas de lui, le premier ministre Justin Trudeau a néanmoins appuyé la décision de ses députés. « Bien franchemen­t, on pourrait s’attendre à ce que le Comité de la condition féminine soit présidé par quelqu’un qui défend de façon non équivoque les droits des femmes. C’est l’objectif du Comité de la condition féminine», a fait valoir M. Trudeau.

Simple diversion

Les conservate­urs n’ont cependant pas l’intention de changer d’idée et somment libéraux et néodémocra­tes d’accepter leur droit démocratiq­ue de nommer la présidente du comité, quelle qu’elle soit.

Le parti a promis maintes fois qu’il ne rouvrirait pas le débat sur l’avortement, a rappelé le chef Andrew Scheer, qui ne voit rien de plus à la sortie libérale qu’une simple tentative de «changer le sujet» de la réforme fiscale pour les petites entreprise­s. Les libéraux Lawrence MacAulay et John McKay sont eux aussi pro-vie; ils ont pourtant eu le droit d’être respective­ment ministre et secrétaire parlementa­ire, ont rappelé les conser vateurs.

Quant à Rachael Harder, elle a martelé qu’elle saurait faire son travail « avec équité, avec égalité, avec respect ».

Mme Harder affiche un bulletin parfait sur le site de Campaign Life Coalition (CLC), qui dresse le bilan des positions adoptées par les députés fédéraux en matière d’enjeux sociaux. La jeune députée conservatr­ice s’est opposée à l’aide à mourir, elle s’est abstenue d’interdire la discrimina­tion envers les transgenre­s et a appuyé un projet de loi visant à criminalis­er le fait de blesser ou de tuer un enfant à naître (vu comme une façon de donner une entité juridique au foetus). Elle a également indiqué à la CLC qu’elle appuierait un projet de loi qui accroîtrai­t le respect et la protection d’une vie humaine à naître.

Le chef Andrew Scheer fait encore mieux, aux yeux de la CLC, avec un bilan « impeccable », puisqu’il s’est opposé à l’avortement, à l’interdicti­on de discrimine­r les transgenre et au mariage gai.

La diversité muselée

Selon le député pro-vie et ex-candidat au leadership Brad Trost, la moitié du caucus aurait les mêmes conviction­s que lui. Ce n’est pas une raison pour leur refuser la présidence d’un comité.

Un avis partagé par le libéral pro-vie John McKay, qui estime que c’est une « pente glissante» que d’exclure les gens à cause de leurs valeurs.

Les conservate­urs accusent les libéraux de ne pas tolérer la diversité d’opinions. Un reproche repris par Gwen Landolt, de REAL Women, qui trouve «ironique qu’un comité créé pour se pencher sur la condition féminine soit discrimina­toire à l’endroit d’une femme qui n’accepte pas leur idéologie féministe».

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