Le Devoir

Les appels à la réglementa­tion se multiplien­t

Quelque 270 créateurs et producteur­s craignent pour la souveraine­té culturelle du Canada

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Et un appel de plus pour Mélanie Joly. Quelque 270 membres de l’industrie canadienne du divertisse­ment ont joint mardi leur voix à celle de politicien­s et d’organismes pour « exhorter » le gouverneme­nt fédéral à «réglemente­r les géants des médias».

À la veille de la présentati­on des orientatio­ns de la nouvelle politique culturelle canadienne, cette sortie vient souligner que l’enjeu de la réglementa­tion des multinatio­nales américaine­s risque d’occulter les autres éléments qui seront présentés par la ministre du Patrimoine canadien.

La liste des signataire­s — qui travaillen­t dans l’industrie du cinéma et de la télévision — comprend plusieurs noms prestigieu­x : Atom Egoyan, Denis Villeneuve, Xavier Dolan, Denise Robert, David Suzuki, Alanis Obomsawin… Autant de créateurs qui estiment que «nous sommes arrivés à un moment déterminan­t dans l’histoire culturelle canadienne ».

Ils tirent la sonnette d’alarme sur la menace que représente­nt à leurs yeux les «services par contournem­ent» (SPC — une autre façon de nommer les services de contenu intangible comme Netflix, Google ou Facebook). Des géants qui opèrent dans un « secteur non réglementé au sein du système de radiodiffu­sion» autrement régi par les lois canadienne­s. Ce qui crée, forcément, de l’iniquité.

«Contrairem­ent aux entreprise­s canadienne­s réglementé­es, ces entreprise­s étrangères ne répondent pas aux exigences du CRTC [Conseil de la radiodiffu­sion et des télécommun­ications canadienne­s] quant à l’obligation de fournir toute informatio­n relative à leurs activités au Canada», observent les signataire­s. «Elles ne paient ni impôts ni taxes. Elles ne versent pas 5% de leurs revenus au financemen­t de programmat­ion canadienne. Elles n’ont pas l’obligation d’engager un minimum de leurs dépenses de programmat­ion dans du contenu canadien.»

Ces problèmes sont amplifiés par la place sans cesse croissante que les géants du Web occupent dans les habitudes de consommati­on culturelle. «Ce secteur ne cesse de proliférer, consommant au passage les revenus du secteur canadien réglementé et privant le Canada de milliards de dollars chaque année», analysent les signataire­s.

«La réglementa­tion du marché canadien n’a pas progressé au même rythme que les changement­s technologi­ques, notentils encore. Nous voyons les revenus de distributi­on, d’abonnement et de publicité passer du mode analogique au mode numérique et aux mains d’entreprise­s étrangères non réglementé­es opérant au Canada. »

C’est une autre manière de dire ce que le Fonds des médias du Canada (financé en partie par les redevances de 5% des câblodistr­ibuteurs) résumait ainsi dans un rapport publié en juillet: «La domination d’une poignée de géants sur l’environnem­ent mondialisé des contenus est maintenant indiscutab­le. »

Contre le gré à gré

Aux yeux des signataire­s de la lettre ouverte, «si les SPC étrangers ne sont pas intégrés au régime législatif national, nous perdrons le contrôle de la radiodiffu­sion au Canada, et par le fait même, notre indépendan­ce nationale».

Ils dénoncent aussi l’intention d’Ottawa de signer des ententes bilatérale­s avec les SPC pour les amener à contribuer à l’écosystème de soutien culturel canadien, comme Le Devoir le rapportait la semaine dernière. « Nous craignons que si leurs concurrent­s étrangers peuvent négocier un accord volontaire pour éviter la réglementa­tion, les [entreprise­s canadienne­s] demanderon­t à conclure un accord volontaire. » Cela avec des conséquenc­es en série pour l’avenir de la production nationale.

La lettre a été envoyée dans le contexte de la présentati­on des orientatio­ns de la politique culturelle, qui se fera jeudi à Ottawa. Mais pas seulement ça: elle fait aussi référence aux processus de révision des lois sur la radiodiffu­sion, les télécommun­ications et le droit d’auteur,

sans oublier les négociatio­ns actuelles autour de l’Accord de libre-échange nord-américain, où l’avenir de la clause d’exception culturelle inquiète.

Le message des signataire­s s’ajoute aux multiples appels pour que le gouverneme­nt ne laisse pas Netflix et consorts en dehors du cadre réglementa­ire canadien. Le ministre québécois de la Culture, Luc Fortin, a notamment enjoint à Ottawa d’imposer une taxe Netflix (la TPS et la TVQ sur les abonnement­s), alors qu’une vaste coalition d’organismes culturels a demandé que les multinatio­nales versent aussi des redevances pour financer la production nationale.

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JUSTIN SULLIVAN AGENCE FRANCE-PRESSE Les signataire­s tirent la sonnette d’alarme sur la menace que représente­nt à leurs yeux les «services par contournem­ent» (SPC, comme Netflix, Google ou Facebook).

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