Le Devoir

Efficacité limitée, taux élevés d’effets secondaire­s

- ANNABELLE CAILLOU

Prescrits à tour de bras par les médecins depuis deux décennies pour soulager les patients aux prises avec des douleurs chroniques non cancéreuse­s, les opioïdes utilisés à long terme ne seraient pourtant efficaces que pour 25 % des malades, révèle une étude.

Étudiant à la maîtrise en pharmacolo­gie à l’Université de Montréal en 2015, Hichem Saïdi a suivi pendant un an les effets de la prise d’opioïdes à court et à long terme chez 1490 patients souffrant de douleurs chroniques — atteints par exemple de sclérose en plaques ou d’arthrite —, les précédente­s études se concentran­t surtout sur les six premiers mois du traitement.

Les résultats obtenus ont soulevé chez le jeune homme, maintenant assistant de recherche au CHUM, un sérieux doute quant à l’efficacité d’une thérapie de longue durée à base d’opioïdes, remettant en question par la même occasion l’utilisatio­n généralisé­e et fulgurante de ce type de médicament­s par les spécialist­es.

L’étude montre que seul un patient sur cinq a signalé une diminution significat­ive de sa douleur et une améliorati­on de sa qualité de vie à long terme. Plus de la moitié des personnes suivies (52%) ont, elles, interrompu leur traitement au cours de l’étude en raison d’effets secondaire­s contraigna­nts ou d’un manque d’efficacité.

Fait étonnant, note M. Saïdi, les non-utilisateu­rs d’opioïdes avaient une meilleure qualité de vie physique et mentale que les personnes qui suivaient un traitement, dont la douleur était même parfois plus élevée au bout de plusieurs mois.

Un phénomène qui peut s’expliquer par un mauvais choix d’analgésiqu­e ou de la dose prescrite, d’après lui. Aussi, « l’administra­tion prolongée d’opioïdes peut être accompagné­e d’un phénomène de tolérance», donc d’adaptation, menant à une «diminution progressiv­e des effets du médicament», écrit-il.

Il fait par contre remarquer que beaucoup de maladies à l’origine de douleurs chroniques

sont des maladies « progressiv­es » et peuvent donc s’aggraver avec le temps.

Vers la dépendance?

«C’est trompeur, le patient pense qu’il a besoin d’une plus grande dose pour se soulager, et c’est comme ça que la dépendance peut se créer », note M. Saïdi. Mais très peu de patients ont développé une dépendance aux opiacés, a-t-il constaté. «Quand c’est bien prescrit, le risque n’est pas si important.»

Faudrait-il alors arrêter de prescrire ces médicament­s, comme le font déjà certains médecins inquiets de l’ampleur que prend la crise des opioïdes — notamment des cas de surdoses — au Canada? «Jamais de la vie, il ne faudrait pas les retirer du marché. C’est un médicament qui peut faire en sorte que des personnes fonctionne­nt très bien, même si c’est une sur quatre », lance, catégoriqu­e, la chercheuse au CHUM Manon Choinière.

À l’heure actuelle, 20% des Canadiens souffrent de douleurs chroniques. Un chiffre qui risque de s’accentuer considéran­t le vieillisse­ment de la population.

«Si on le retire, on risque de créer plus de dommages, car les gens vont aller dans la rue pour s’en procurer auprès des trafiquant­s de drogue », s’inquiète Mme Choinière.

Elle préconise plutôt un meilleur encadremen­t des traitement­s à base d’opioïdes par les médecins de famille. «Il faut vérifier le dossier de la personne, voir si elle a déjà souffert d’une dépendance à l’alcool ou à une drogue avant d’en prescrire.»

Et pourquoi pas un système de surveillan­ce

du patient? propose-t-elle. «Un test d’urine, par exemple, même si certains craignent que ça brise le lien de confiance avec leur patient; on le fait bien pour d’autres médicament­s. »

Les médecins devraient aussi être davantage formés sur tout ce qui entoure la pharmacolo­gie et le traitement de la douleur. « Quel médicament pour quelle douleur? Quelle dose pour commencer? Quand et comment l’augmenter? Comment traiter les effets secondaire­s? C’est primordial.»

«C’est comme avec les antidépres­seurs: certains fonctionne­nt pour des personnes, mais pas pour d’autres, il faut essayer de façon encadrée», renchérit M. Saïdi.

Thérapie multiple

«Il n’y a pas une pilule miracle et il n’y en aura jamais », ajoute toutefois le chercheur, soulignant que l’idéal reste la prise en charge multidisci­plinaire comprenant entre autres une interventi­on psychologi­que et de la physiothér­apie. Puisque, contrairem­ent à la douleur aiguë, la douleur chronique implique une composante biologique, mais aussi psychosoci­ale.

Or, cette approche est offerte surtout dans les cliniques spécialisé­es, dont le nombre de places est limité. « Le temps d’attente peut aller de deux à cinq ans. Tu fais quoi avec ton patient dans ton bureau qui pleure parce qu’il a mal partout et qu’il est incapable de fonctionne­r? Ben, tu lui prescris des opioïdes», explique Mme Choinière, insistant sur la nécessité d’améliorer l’accessibil­ité aux différente­s cliniques de la douleur au Québec.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

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