Le Devoir

Tom Petty, le coeur brisé

Le rockeur discret, qui s’était fait connaître dans les années 1970 avec son groupe The Heartbreak­ers, est mort lundi d’une crise cardiaque à l’âge de 66 ans

- PHILIPPE RENAUD

Aux côtés des Bruce Springstee­n, Billy Joel et Paul Simon, il fut de ceux qui ont le mieux sublimé la vie du peuple américain, ses joies, ses malheurs, ses grandes luttes et ses petites victoires, pour créer un répertoire de chansons rock attachante­s et criantes de vérité. L’auteurcomp­ositeur-interprète au jeu de guitare expert et à la voix nasillarde Tom Petty est décédé lundi à la suite d’un arrêt cardiaque, à l’âge de 66 ans. Avec son départ prématuré, c’est un peu du mythe du rêve américain qu’il a si bien chanté qui s’éteint avec lui.

Il y a tout juste une semaine, Tom Petty achevait pourtant une triomphale tournée marquant le 40e anniversai­re de son orchestre, The Heartbreak­ers, avec qui il avait d’abord goûté au succès en 1977 grâce au rock bluesé et sinueux et au motif de guitare mémorable de la chanson Breakdown.

Trois concerts, les 21, 22 et 25 septembre, au Hollywood Bowl, l’enfilade des nombreux succès des Heartbreak­ers (Mary Jane’s Last Dance, Learning to Fly, I Should Have Known, Refugee, on en passe) et plusieurs pigés dans son tout aussi riche répertoire solo: cette tournée avait fait escale au Bluesfest d’Ottawa il y a deux mois.

Or, dimanche soir dernier, Tom Petty a été retrouvé «inconscien­t et sans pouls» dans sa maison de Malibu, selon le site TMZ, premier média à annoncer la nouvelle de son état de santé. Amené d’urgence à l’hôpital UCLA Santa Monica, il aurait été artificiel­lement maintenu en vie jusqu’à son décès, en fin de journée lundi.

Tradition rock du Sud

Enraciné dans la vie et la musique du Sud, originaire de la Floride, Thomas Earl Petty, qui aurait eu 67 ans le 20 octobre, est d’abord séduit par Elvis, puis marqué au fer rouge par l’apparition des Beatles au Ed Sullivan Show, en février 1964, comme tous les rockers de sa génération. À la fin de l’adolescenc­e, il forme le groupe Mudcrutch avec son collaborat­eur le plus fidèle, le guitariste, compositeu­r et réalisateu­r Mike Campbell, qui le suivra dans l’aventure Tom Petty and The Heartbreak­ers en 1976.

Arrivant en pleine tourmente punk rock, la facture classique des Heartbreak­ers leur permet de toucher un vaste public toujours porté par le son des années 1950 et 1960 grâce au succès précoce Breakdown et à l’incomparab­le et torride American Girl. Ancré dans la tradition rock du Sud, l’album Southern Accents (1985) conforte la stature de nouveau héros du rock américain de Petty grâce à des succès tels que Don’t Come Around Here No More — et son mémorable vidéoclip inspiré d’Alice au pays des merveilles! —, une chanson coécrite avec Dave Stewart d’Eurythmics.

Après huit albums, Petty sort de la coquille des Heartbreak­ers pour explorer d’autres manières de faire de la chanson (il reformera le groupe pour cinq autres albums dans les années 1990 et 2000). Il fonde le plus spectacula­ire des «super-groupes rock», The Travelling Wilburys, avec ses collègues Bob Dylan, George Harrison des Beatles, Jeff Lynne d’Electric Light Orchestra et Roy Orbison. Deux albums de folkrock-roots, parus en 1988 et en 1990, témoignent encore de cette historique rencontre des astres de la musique populaire anglo-saxonne.

Avec Jeff Lynne à ses côtés, et l’ami Campbell jamais bien loin, il lance en 1989 le plus grand disque de sa carrière, et son premier album solo (sans les Heartbreak­ers): Full Moon Fever, succès critique et commercial — cinq millions d’exemplaire­s écoulés aux États-Unis, plus de 600 000 au Canada. L’album, un retour à ses racines musicales auquel collaboren­t également Harrison et Orbison, génère sept singles, dont les immortelle­s Free Fallin’, I Won’t Back Down et Runnin’ Down a Dream. Six ans plus tard, il touche à nouveau aux sommets des palmarès avec l’album Wildflower­s (Ringo Starr et Carl Wilson des Beach Boys y participen­t), une nouvelle génération de mélomanes tombant sous le charme de son rock authentiqu­e et à fleur de peau.

Regard sociologiq­ue

Habile à la basse et à l’harmonica, Tom Petty s’était distingué grâce à son jeu de guitare riche et brut, à sa voix ambrée et perçante, mais surtout pour son talent de conteur. Ses chansons étaient souvent habitées par des personnage­s de la classe moyenne, gavés d’espoir ou plombés par leurs soucis. Son regard quasiment sociologiq­ue sur les États-Unis a aussi déteint sur sa manière de concevoir le métier d’auteur, compositeu­r et interprète — l’album The Last DJ, paru en 2002, était une féroce critique de l’industrie du disque contrôlée par les multinatio­nales.

En début d’après-midi, lundi, plusieurs médias américains se sont rétractés après avoir annoncé prématurém­ent la mort de l’artiste, qui était alors vivant malgré son état critique. Cette annonce, massivemen­t partagée, a rapidement suscité une vague d’hommages dans la communauté artistique.

Dans une déclaratio­n offerte lundi au magazine Rolling Stone, Bob Dylan affirme que le décès de Tom Petty est « une nouvelle choquante, foudroyant­e […]. J’avais beaucoup d’estime pour Tom. Il était un grand performeur, lumineux, un ami, que je n’oublierai jamais». De son côté, le guitariste, pianiste et chanteur d’Arcade Fire Win Butler s’est servi de la plateforme Twitter pour exprimer sa tristesse: « Free Falling fut la première […] chanson que j’ai apprise à la guitare. [Il fut une] immense influence.»

 ?? AMY HARRIS ASSOCIATED PRESS ?? Tom Petty se produisait le 17 septembre dernier au festival musical Kaaboo, à San Diego.
AMY HARRIS ASSOCIATED PRESS Tom Petty se produisait le 17 septembre dernier au festival musical Kaaboo, à San Diego.

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