L’arme à l’oeil de l’irrévérence
Le festival 1001 visages, à Val-David, propose un regard tourné vers les caricaturistes, ces artistes maîtres de l’observation
L’été à Val-David, c’est la saison des 1001 pots, festival de la céramique. L’automne, place à 1001 visages, festival de la caricature. Pendant trois jours, on célèbre «l’art de l’observation».
« Au Québec, on a cette tradition de la caricature de presse qui se poursuit et qu’on retrouve encore en pages éditoriales. On en parle à la radio. On a notre côté latin, pour qui le dessin de presse est important. Et les Québécois aiment rire.»
Pour Christian Vachon, conservateur des peintures, estampes et dessins au Musée McCord et spécialiste de la caricature, le Québec des Garnotte et compagnie est bien vivant. Malgré les nuages qui menacent la presse écrite, malgré la disparition annoncée de l’information sur papier, la caricature sur vit.
Sans surprise, il a retrouvé il y a cinq ans le festival 1001 visages de la caricature, qu’il avait suivi de près à sa fondation en 2006. Depuis 2012, il y participe même à titre d’animateur de luxe, en menant des discussions avec les vedettes. Pour le 12e 1001 visages, ce
sont Cédric Loth, l’invité d’honneur, Guy Badeaux (ou Bado, du Droit) et Yannick Lemay (ou Ygreck, du Journal de Québec) qui se présenteront au micro.
«Je ne suis pas surpris que le festival existe encore parce que la caricature se porte bien au Québec, contrairement à l’ouest du Canada, dit le chercheur du McCord. La caricature éditoriale est plus active dans l’Est, mais dans l’Ouest, les journaux se débarrassent des caricaturistes.»
Christian Vachon voit néanmoins quelques signes alarmants — le contrat non renouvelé de Marc Beaudet au Journal de Montréal, où l’on se contente désormais de reproduire les dessins du Journal de Québec. Néanmoins, on n’en est pas encore à faire appel à des agences internationales comme ça se voit ailleurs au pays, soupire-t-il.
Rire, encore
La longévité de 1001 visages est une autre preuve que la caricature fait encore rire. Le festival, à la fois exposition et salon de rencontres, réunit bien plus que les seules grandes plumes (ou crayons) de nos journaux. Les caricaturistes dits de rue, ceux-là qui vous tirent le portrait en quelques minutes, les illustrateurs et les bédéistes font aussi partie de la fête.
«C’est une kermesse des sens, avec plein d’activités, des bands de jazz et plus», dit un enthousiaste Christian Vachon. Pour son tête-à-tête avec Loth, il veut amener l’illustre dessinateur, jadis associé au Devoir dans les années 1970, à commenter la caricature éditoriale.
«Il fait de grandes illustrations qui me donnent la chair la poule, confie l’expert. Il n’utilise pas d’ordinateur, ne colore pas avec un logiciel, il ne scanne pas ses dessins. Il est d’une autre génération et je trouve intéressant qu’il jette un oeil sur l’actualité politique. »
Robert Lafontaine, lui-même caricaturiste et fondateur du festival, en est le principal porte-parole. Après 12 ans, il estime que sa mission est toujours vitale: mieux faire connaître ces professionnels du crayon, souvent plus polyvalents qu’on le pense. Ils n’ont pas le choix, fait-il remarquer: à part quelques privilégiés, les caricaturistes ne vivent pas de leurs seuls dessins sur papier. « Ce sont de grands créateurs, affirme Robert Lafontaine. [Yves] Demers, par exemple, fait toutes sortes d’installations, de décors gonflables, de décors de Noël, de la sculpture, de la gravure, de l’aquarelle réaliste. Il a plusieurs cordes à son arc. »
De la tête au petit orteil
Il n’aime pas qu’on rejette du revers de la main ceux qui dessinent en direct. La caricature de rue, qui a proliféré dans les quartiers touristiques, n’est pas donnée à tous.
« Les caricaturistes ont l’oeil de la vérité. Ils savent regarder les gens. C’est un art d’observation, et ceux qui côtoient les politiciens peuvent jusqu’à peindre leur petit orteil. Par contre, la caricature en direct est exigeante, elle demande beaucoup d’expérience. Il faut être capable de supporter la pression, et la vitesse entre en ligne de compte », commente le coordonnateur du festival de Val-David.
Douze ans dans la marge
Né à Montréal et itinérant pendant la première moitié de sa vie, 1001 visages s’est établi définitivement dans la municipalité des Laurentides en 2011. Robert Lafontaine, lui-même basé dans la région, y a trouvé un nid tissé serré et plus douillet qu’à Montréal, où la concurrence culturelle est féroce et les politiciens inaccessibles.
Le festival roule avec presque rien: un budget de 35 000 $ et beaucoup de bénévoles. Et les caricaturistes montent leur nid sous le toit de l’église de Val-David, qui fournit sa salle communautaire.
«On est encore dans la marge. Personne ne reconnaît la caricature comme un métier professionnel. Depuis 12 ans, le gouvernement du Québec [par le ministère de la Culture et des Communications] ne nous a jamais donné plus que 500$», déplore Robert Lafontaine, qui aimerait solidifier la structure du festival dans les prochains mois.
«C’est un événement unique au pays. Avec une saveur unique. On souhaite que quelqu’un reconnaisse le festival et le fasse perdurer », dit-il.
FESTIVAL 1001 VISAGES DE LA CARICATURE Centre communautaire de l’église de Val-David Du 7 au 9 octobre