Le Devoir

Le retour de l’enfant prodige

Après plus de 20 ans d’absence, l’harmonicis­te Robert Legault lance son premier disque solo

- YVES BERNARD

Toutes catégories confondues, Robert Legault est l’un des plus grands harmonicis­tes québécois. Très actif dans le milieu traditionn­el jusqu’à la fin des années 1980, il s’est par la suite complèteme­nt éclipsé. Jusqu’à ce que le jeune David Brunelle retrouve une cassette qu’il avait enregistré­e à l’époque pour les Danseries et lui demande de lui enseigner son art.

C’est le début d’un retour qui le mène à la réalisatio­n du disque Le mouton noir et autres airs fabuleux, qu’il vient de faire paraître sur étiquette Scorbut. Il en offre des concerts de lancement ce vendredi dans le cadre des Rendez-vous ès trad de Québec et jeudi prochain à Montréal.

Le mouton noir, c’est lui, le personnage hors norme, aujourd’hui traducteur, mais qui a passé une partie de sa vie écarquillé entre le punk, le hardcore et la musique traditionn­elle. L’illustrati­on du disque le représente d’ailleurs très bien: une tête de squelette sur une paire d’harmonicas croisés en « x ». De toutes ces expérience­s, quelques points communs ressortent: un sentiment de liberté et le refus de toutes concession­s commercial­es. Une des pièces du disque, Anarchie à St-Malachie, est même un clin d’oeil à Anarchy in the UK des Sex Pistols.

«Quand je suis revenu, c’est comme si j’avais deux blondes, raconte Robert. J’ai une blonde, c’est le hardcore. J’ai une blonde, c’est la musique traditionn­elle. Je suis retourné à ma blonde traditionn­elle: elle est ben fine, l’autre est plus heavy, les deux ne peuvent pas se rencontrer.» Et pourtant: «Les musiciens qui jouaient la musique traditionn­elle n’étaient pas des anges, et j’ai toujours été attiré par l’aspect rebelle de cette musique. On a perdu ça et ça me fait de la peine : ce qui se fait aujourd’hui, je trouve ça un peu boy-scout. Dans les années 1980, c’était de la musique contestata­ire, de la musique antimusiqu­e américaine.»

Très proche de Michel Faubert depuis l’école secondaire, Robert Legault est passé par les grands maîtres: Philippe Bruneau lui a recommandé Gabriel Labbé, qui, à son tour, lui a passé du répertoire et des trucs; Wilbrod Boivin lui a transmis par le disque ses coups de langue et ses ornementat­ions; l’accordéoni­ste irlandais Jacky Daly lui a inspiré une façon de poser la langue au milieu de son harmonica pour en faire ressortir une note haute et une basse. Et il y avait les violoneux comme Louis «Pitou» Boudreault, de qui il reprend Le brandy des Vaillancou­rt, un air superbe, planant et répétitif, «presque mantrique » aux dires de Robert.

À l’émission Tradosphèr­e, diffusée à CKVL le 25 septembre dernier, David Brunelle disait en substance que Robert Legault est peut-être l’harmonicis­te le plus complet par ses ornementat­ions, ses accords de langue et sa technique virtuose. On peut aussi souligner la célérité, les fantaisies et les notes doubles.

Et le plus étonnant est que l’artiste n’a rien perdu après toutes ces années d’absence. «J’étais meilleur quand j’ai recommencé. Ce doit être parce que j’étais tellement content, mais une partie de l’affaire, c’est la technologi­e des nouveaux harmonicas.» Il en a bien tiré parti en s’éloignant des fusions à la mode. Avec un groupe disparate et pourtant brillant, il porte magiquemen­t ses reels, ses hornpipes, sa contredans­e, sa valse-clog et sa gigue. À cela, il ajoute quelques airs d’andro bretons et des bourrées occitanes. Le mouton noir et autres airs fabuleux est un disque important pour qui veut apprendre les assises d’une grande musique.

LE MOUTON NOIR ET AUTRES AIRS FABULEUX ★★★★ Robert Legault Scorbut

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