Le Devoir

Proulx refuse d’assujettir l’école à la maison à la loi 101

- JESSICA NADEAU

Le ministre de l’Éducation n’entend pas soumettre l’enseigneme­nt à la maison à la loi 101, ce qui fait bondir les membres des trois partis d’opposition, qui lui livrent bataille en commission parlementa­ire et l’accusent de contourner l’esprit de la loi.

Les parents qui souhaitent faire l’école à la maison seront plus encadrés, mais pourront choisir d’être accompagné­s par la commission scolaire de leur choix, en anglais ou en français. C’est du moins ce que prévoit un amendement du projet de loi 144 sur la scolarisat­ion à la maison, présenteme­nt à l’étude à l’Assemblée nationale.

Présenteme­nt, plusieurs parents qui font l’école à la maison le font en marge du système. Le ministre Sébastien Proulx souhaite les ramener dans le radar du ministère en les forçant à s’inscrire dans une commission scolaire et à lui présenter un plan de scolarisat­ion. Les commission­s scolaires seront chargées de faire un suivi auprès des parents, de leur offrir de l’accompagne­ment et de s’assurer de la progressio­n de l’élève à travers une évaluation annuelle dont les conditions restent encore à déterminer.

Pour donner du lest aux parents, le ministre entend leur laisser le choix de la commission scolaire avec laquelle ils souhaitent travailler. De façon plus précise, selon l’amendement à l’article 2 déposé par le ministre jeudi, les parents devront s’inscrire à la commission scolaire qui dessert leur territoire et qui sera considérée comme un «port d’attache». Mais par la suite, ils pourront décider de faire affaire avec n’importe quelle commission scolaire ou

établissem­ent privé autorisé par le ministère à l’échelle du Québec, en fonction de leurs intérêts, de leurs besoins ou de la qualité des services offerts dans l’une ou l’autre de ces commission­s scolaires.

«On va leur permettre [de choisir la commission scolaire] parce qu’on veut améliorer la relation [entre le parent et celle-ci], parce qu’on veut avoir une expérience positive en matière d’encadremen­t, parce qu’on veut que ça fonctionne, parce qu’on a des parents qui sont dans une situation où ils ont besoin de soutien», expliquait le ministre en commission parlementa­ire jeudi soir.

Cet amendement, pas encore adopté et vivement discuté en commission parlementa­ire, prévoit que la langue du suivi sera laissée au choix du parent. Le ministre soutient que le parent qui ne parle pas français et qui doit faire la classe à son enfant peut le faire dans la langue qu’il souhaite et qu’il a le droit d’obtenir des services d’aide et d’encadremen­t dans la langue de son choix, puisque les services ne sont pas donnés à l’enfant, mais au parent.

Ainsi, un parent immigrant pourrait décider d’avoir des services en anglais s’il fait l’école à la maison, alors que celui qui s’inscrit à l’école doit le faire en français en fonction de la loi 101, confirme le ministre, qui assure que l’école à la maison n’est pas soumise à la loi 101.

«Les services d’accompagne­ment ne sont pas des services éducatifs donnés en classe et ne sont pas soumis à la Charte de la langue française, at-il répété. La preuve en est que c’est que lorsqu’on a débattu cette question de la Charte, on n’a pas inclus l’éducation à la maison parce que c’est dans la maison que ça se passe et qu’on ne légifère pas dans ce qui se passe à la maison. »

Matériel et programmes

En ce moment, les parents qui font l’école à la maison ont le choix de se rapporter à une des deux commission­s scolaires francophon­e ou anglophone qui desservent leur territoire. Le ministre propose donc le statu quo. Mais les parlementa­ires des partis d’opposition souhaitent profiter de l’occasion, avec ce nouveau projet de loi qui vient encadrer l’école à la maison, pour réclamer que l’accompagne­ment de l’enseigneme­nt à la maison se fasse en français, sauf pour les parents qui ont été à l’école en anglais, comme c’est prévu dans la loi 101.

«Donc, si une famille qui en vertu de la loi 101 devrait être liée à une commission scolaire francophon­e décide de faire un suivi avec une commission scolaire anglophone, ça lui permet d’avoir accès à du matériel en anglais, a plaidé Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire. C’est quand même dur de ne pas voir ici une forme de contournem­ent de l’obligation de fréquenter l’école en français et un contournem­ent de l’esprit de la loi.»

Cela va encore plus loin, plaide à son tour Jean-François Roberge, de la CAQ. «On va même jouer dans les programmes avec ça, c’est insidieux. Une famille censée être scolarisée en français qui choisit d’être accompagné­e dans le réseau anglophone risque d’avoir un projet d’apprentiss­age en concordanc­e avec le programme de cette commission scolaire, donc au lieu de faire du français langue d’enseigneme­nt et de l’anglais langue seconde […] suivra le programme avec l’anglais comme langue d’enseigneme­nt et le français en langue seconde. Et ça, c’est une fort mauvaise idée, c’est une brèche importante dans l’esprit de la loi 101. Le ministre dira: “Oui, mais ce n’était pas prévu dans la loi 101”, mais je dirais que non, on ne prévoyait pas ça, de la même façon qu’on ne prévoyait pas à l’époque l’arrivée du iPhone.»

Point de rupture

Le ministre soutient que le fait de faire l’école à la maison en anglais ne donnerait pas un passe-droit à l’enfant au moment où celui-ci souhaitera­it retourner sur les bancs d’école.

Mais pour Alexandre Cloutier, du Parti québécois, cela n’est pas réaliste. «La réalité, c’est que si les enfants reçoivent un suivi en anglais, jamais ils ne vont retourner dans le réseau en français, ça va être impossible pour eux parce qu’ils n’auront pas les acquis linguistiq­ues nécessaire­s. Ce n’est pas pour rien qu’on veut que le suivi se fasse dans le respect des dispositio­ns de la loi 101. Ce n’est pas un caprice, c’est parce que la langue commune au Québec, c’est le français. On va mener un combat là-dessus.»

Les trois partis d’opposition ont effectivem­ent uni leurs forces jeudi soir et promis de revenir à la charge à la reprise des travaux, mardi prochain, proposant amendement­s et sousamende­ments chacun à leur tour dans l’espoir d’arriver à un compromis acceptable. Mais le ministre Proulx, qui a fait plusieurs compromis sur d’autres points lors de l’étude détaillée du Pl144 ces derniers jours, n’a pas donné l’impression de vouloir bouger sur celui-ci, parlant de «point de rupture» dans la discussion avec ses collègues. « Nous sommes dans une situation où on respecte la loi 101, peut-être pas de la façon que souhaitent les collègues, mais j’ai l’assurance des juristes qui ont étudié cette question, alors, en ce qui me concerne, je pense qu’on a fait un bon bout de chemin sur l’article 2, et je suis prêt à passer à autre chose […] Ça se peut qu’on ne s’entende pas, mais dans ce contexte, j’ai dit ce que j’avais à dire: l’enseigneme­nt à la maison n’est pas soumis à la Charte.»

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Sébastien Proulx

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