Le Devoir

La gratuité, est-ce un leurre ou une bonne idée ?

- ISABELLE PARÉ ANNABELLE CAILLOU

Plusieurs maires flirtent ces jours-ci avec l’idée d’offrir à tous leurs électeurs, sinon à certaines clientèles, l’accès gratuit au transport en commun. Une idée qui a fait son chemin ailleurs dans le monde, notamment à Tallinn, où les résidents de la capitale peuvent sauter dans les bus sans verser un sou.

Depuis 2013, la capitale lituanienn­e a fait le choix du bus gratuit pour rendre son réseau plus attractif et désengorge­r son centre-ville envahi par les voitures. Des voies réservées ont été ajoutées au même moment pour rendre le réseau plus performant. Résultat, l’achalandag­e a cru de 7 à 8%, mais les recettes du transporte­ur ont chuté de 12 millions d’euros.

Rien d’étonnant aux yeux de la titulaire de la Chaire In.SITU à l’ESG, Florence Paulhiac Scherrer, qui estime que la gratuité creuse inévitable­ment la dette des sociétés de transport, déjà déficitair­es habituelle­ment. «Quand les gens payent leur titre, ça peut représente­r jusqu’à 40% des recettes. Si on leur enlève, difficile de maintenir la qualité du service», note-t-elle.

Alors, une idée folle? Pas tant que cela, estiment les autorités de Tallinn. Près de 40 000 personnes ont déménagé dans les limites de la ville depuis 2013 pour pouvoir profiter de la gratuité des transports. Bilan: la ville engrange désormais 38 millions d’euros de plus en taxes municipale­s! Un résultat optimal tant pour la ville que pour les citoyens, juge-t-on.

L’exemple de Tallinn, qui compte 400 000 habitants, a depuis été élargi à d’autres villes de Lituanie et imité récemment par la ville de Niort (150 000 habitants), qui se targue d’être le plus grand réseau « en libre accès » de France. Dans l’Hexagone, une vingtaine de villes pratiquent la gratuité totale, et Dunkerque s’ajoutera au lot en 2018. L’économie s’élève jusqu’à 600 euros par an pour certains citoyens, une manne qui n’est pas à négliger pour attirer de nouveaux résidents, mais aussi une main-d’oeuvre essentiell­e aux entreprise­s.

Au Québec, Chambly, SainteJuli­e ou encore Beauharnoi­s — entre autres — ont emboîté le pas et ont noté une hausse significat­ive des usagers du transport en commun depuis.

Mais l’idée est fréquemmen­t critiquée par ceux qui craignent que cela ne «dévalorise» l’image du transport collectif. Le modèle serait surtout efficace pour les petites et moyennes villes, où les revenus de billetteri­e ne pèsent pas lourd dans le budget de fonctionne­ment des sociétés de transport.

Le tarif social, une meilleure solution?

L’«iniquité sociale» engendrée par la gratuité pour tous — cadeau aux plus nantis — est montrée du doigt dans d’autres villes, qui ont plutôt opté pour un tarif lié au revenu. « Au lieu d’avoir un tarif préférenti­el lié au statut de la personne (jeune, étudiante ou âgée), on prend en compte le revenu du foyer», explique Mme Paulhiac Scherrer.

C’est le cas de Nantes, Strasbourg, Grenoble, Lille et une dizaine d’autres villes en France. Plus proches de nous, Ottawa, Calgary, Kingston et Toronto ont emboîté le pas ces dernières années. À Montréal, Équipe Coderre et Projet Montréal promettent aussi d’instaurer la tarificati­on sociale, et la chef de Projet Montréal, Valérie Plante, vise en sus la gratuité pour les jeunes de moins de 12 ans et pour les aînés.

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ISTOCK La gratuité totale ou partielle du transport collectif, adoptée par plusieurs villes d'Europe, est au nombre des promesses faites par plusieurs candidats aux élections municipale­s.

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