Le Devoir

Sciences Des saules appelés en renfort pour épurer les eaux usées

De nombreuses petites municipali­tés du Québec peinent à épurer leurs eaux usées en raison de l’absence d’équipement efficace ou d’installati­ons désuètes, voire insuffisan­tes. Une nouvelle technologi­e faisant appel à des arbres et qui a fait ses preuves ex

- PAULINE GRAVEL

La technologi­e en question consiste en une plantation de saules que l’on irrigue avec les eaux usées générées par la municipali­té. Cette « phytotechn­ologie» permet non seulement de débarrasse­r les eaux usées de la matière organique et des contaminan­ts, tels que le phosphore et l’azote ammoniacal, qu’elles contiennen­t, mais aussi de valoriser ces produits indésirabl­es à la consommati­on en créant une matière ligneuse pouvant servir de biocarbura­nt, voire à fabriquer du paillis et des barrières antibruit. Dans le cadre de son doctorat, Xavier Lachapelle-Trouillard évalue l’efficacité et la rentabilit­é économique de cette phytotechn­ologie pour traiter les eaux usées des petites municipali­tés du Québec.

Pourquoi des saules?

Les chercheurs ont jeté leur dévolu sur le saule, plus particuliè­rement sur le Salix miyabeana SX67, une variété à croissance rapide qui est bien adaptée aux conditions nord-américaine­s en raison notamment de la forte transpirat­ion de ces arbres. Les saules boivent beaucoup d’eau et, par transpirat­ion, en rejettent une grande partie dans l’atmosphère. « Les eaux usées sont captées par les racines des saules qui, par leur forte transpirat­ion, font en sorte qu’il y a beaucoup moins d’eau qui s’infiltre dans le sol, rejoint les eaux souterrain­es et finalement un cours d’eau, souligne Xavier Lachapelle-Trouillard. De plus, les saules ont besoin pour croître de nutriments, tels que l’azote et le phosphore, qui sont deux contaminan­ts typiques des eaux usées dont l’éliminatio­n est généraleme­nt très coûteuse.»

En amont de la plantation de saules, un bassin de rétention doit également être aménagé pour récolter les eaux usées durant l’hiver. Cet étang permet aussi la décantatio­n des matières solides en suspension et la décomposit­ion d’une portion de la matière organique durant l’hiver. «On ne peut pas déverser des eaux usées brutes sortant de l’égout sur une plantation. L’étang en amont de la plantation effectue ainsi un traitement primaire des eaux usées avant qu’elles soient utilisées pour irriguer la plantation », précise le jeune chercheur.

À la suite de ce traitement primaire, les eaux sont encore chargées en substances solubles: en matières organiques, en phosphore et en azote ammoniacal, qui est un composé très toxique. Lorsque ces eaux sont répandues dans la plantation, la matière organique qu’elles renferment est décomposée par les bactéries du sol, tandis que le phosphore soluble est absorbé directemen­t par les racines des saules. L’azote ammoniacal (NH4) est quant à lui transformé par un processus de nitrificat­ion en nitrite (NO2) dans un premier temps, puis en nitrates (NO3) par des bactéries aérobies (qui ont besoin d’oxygène pour vivre) du sol, d’où l’importance de planter les saules dans un sol bien aéré, fait remarquer M. Lachapelle-Trouillard. Une partie des nitrates ainsi produits est absorbée par les saules, l’autre partie est dégradée par d’autres bactéries dites dénitrifia­ntes en azote gazeux, lequel se retrouve dans l’atmosphère.

Projet expériment­al

Sous la supervisio­n d’Yves Comeau de Polytechni­que Montréal et de Michel Labrecque de l’Institut de recherche en biologie végétale

(IRBV) de l’Université de Montréal, Xavier Lachapelle-Trouillard évalue l’efficacité et la productivi­té en matière ligneuse d’un tel système phytotechn­ologique à Saint-Roch-de-l’Achigan, une municipali­té du nord de Montréal. Les chercheurs ont d’abord planté des saules sur neuf parcelles de 100m2 et y ont déversé des eaux usées de la municipali­té qu’ils avaient d’abord fait décanter dans une fosse septique.

«Le sol sableux sur lequel nous menons nos essais est très bien aéré [et donc propice aux bactéries aérobies du sol qui effectue la nitrificat­ion], ce qui a permis une nitrificat­ion de 98% de l’azote ammoniacal qui a été déversé dans la

plantation », affirme Xavier Lachapelle-Trouillard. Un échantillo­nnage de l’eau présente dans les interstice­s du sol de la plantation a également permis de constater une disparitio­n presque complète de la matière organique et de 98% du phosphore. «De 30 à 40% du phosphore est absorbé par les saules, l’excédent se fixe à la surface des particules fines du sol (d’argile et de silt) ou précipite sous forme de minéraux solides [deux formes qui contribuen­t toutefois à saturer le sol en phosphore]. La compositio­n particuliè­re du sol fera en sorte que cette saturation surviendra plus ou moins rapidement. Après de cinq à dix ans, le sol risque d’être devenu saturé au point de réduire l’efficacité du traitement », explique le chercheur. Pour remédier à ce problème, « on pourra alors induire la coagulatio­n du phosphore soluble dans l’étang en amont de la plantation à l’aide de produits chimiques. La coagulatio­n du phosphore forme une boue qui se déposera au fond de l’étang. Les eaux de l’étang qui irrigueron­t la plantation seront ainsi dépourvues de phosphore soluble, ce qui obligera les saules à utiliser les autres formes de phosphore qui saturent le sol. En répétant un tel traitement pendant deux ans, on devrait parvenir à dé-saturer le sol de la plantation », avance le chercheur.

Production de bois sec

Les trois parcelles qui ont été irriguées pendant de 60 à 90 minutes par jour avec de l’eau potable ont produit 12 tonnes de bois sec par hectare, tandis que les trois parcelles sur lesquelles on avait déversé 10mm d’eaux usées par jour ont généré 22 tonnes de bois de saule par hectare, et celles sur lesquelles on avait répandu 16 mm d’eaux usées en ont engendré 26 tonnes. «La différence entre les parcelles est flagrante quand on se promène sur le site. [Dans les parcelles ayant été irriguées avec des eaux usées], les arbres sont beaucoup plus denses, les troncs sont plus gros, le vert est plus foncé en raison de l’azote qu’ils ont absorbé. Les photos prises depuis les airs par des drones mettent en évidence le fait que les zones qui ont été irriguées par des eaux usées sont d’un vert nettement plus foncé», précise le jeune chercheur.

En raison de leur croissance rapide, les saules peuvent être récoltés tous les trois ans pour en faire du paillis ou des barrières antibruit qu’on installera le long des autoroutes, ou pour les utiliser comme biocarbura­nt avec « un bilan carbone neutre, car la combustion des saules entraînera le rejet du CO2 qui a été accumulé pendant les trois dernières années», fait remarquer M. Lachapelle-Trouillard.

« Le paillis obtenu de ces saules ne sera pas plus contaminé que si on avait fertilisé les plantation­s avec du fumier ou des engrais chimiques, dont deux des principaux ingrédient­s sont le phosphore et l’azote, car les saules n’absorbent que l’azote et le phosphore, des nutriments qui se retrouvera­ient de toute façon dans le bois », rassure le scientifiq­ue.

Analyse économique

Selon l’analyse économique que Xavier Lachapelle-Trouillard a effectuée, il apparaît que l’aménagemen­t de l’étang d’accumulati­on des eaux usées représente plus de 80% des coûts de ce système phytotechn­ologique. Le chercheur a évalué qu’une plantation de 60m2 et un étang de 40m2 sont nécessaire­s par habitant, soit une surface totale de 100m2 par habitant. «C’est la raison pour laquelle ça ne convient qu’aux petites municipali­tés de 300 à 800 habitants, ce qui représente environ 30% des 800 municipali­tés du Québec, soit 240 municipali­tés, précise le chercheur. La plupart de ces municipali­tés sont équipées d’étangs aérés. Ces étangs ont souvent atteint leur capacité maximale d’épuration en raison de la croissance de leur population, ou sont en fin de vie. L’ajout d’une plantation de saules de 30m2 en aval de ces étangs aérés existants pourrait s’avérer une solution efficace, bénéfique et peu onéreuse pour ces petites municipali­tés.»

Une solution bénéfique en effet, car au lieu de rejeter dans la rivière, ou dans le fleuve, les effluents de ces étangs qui parfois respectent à peine les normes, on pourrait les répandre sur des plantation­s de saules, ce qui permettrai­t d’améliorer leur épuration, mais aussi de valoriser les nutriments qu’ils contiennen­t, de limiter la quantité de produits chimiques coûteux qu’il faut introduire dans ces étangs pour en retirer le phosphore, ainsi que de réduire l’aération mécanique de l’étang et, de ce fait, les coûts d’électricit­é.

 ??  ??
 ?? LES ÉCRANS VERTS ?? Une utilisatio­n potentiell­e des saules produits par le procédé: des murs antibruit végétalisé­s de saules.
LES ÉCRANS VERTS Une utilisatio­n potentiell­e des saules produits par le procédé: des murs antibruit végétalisé­s de saules.
 ?? XAVIER LACHAPELLE-TROUILLARD ?? Une parcelle en cours d’irrigation par des saules, plus particuliè­rement le Salix miyabeana SX67, une variété à croissance rapide qui est bien adaptée aux conditions nord-américaine­s.
XAVIER LACHAPELLE-TROUILLARD Une parcelle en cours d’irrigation par des saules, plus particuliè­rement le Salix miyabeana SX67, une variété à croissance rapide qui est bien adaptée aux conditions nord-américaine­s.

Newspapers in French

Newspapers from Canada