Le Devoir

Michel David sur le projet Énergie Est et la politique culturelle fédérale

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Le soulagemen­t évident du premier ministre Couillard à l’annonce de l’abandon du projet d’oléoduc Énergie Est ne doit pas faire oublier son enthousias­me initial et surtout les raisons de son appui.

À ceux qui invoquaien­t les risques pour l’environnem­ent et les faibles retombées économique­s, M. Couillard opposait la nécessité pour le Québec de contribuer au développem­ent de l’économie canadienne, dont la vitalité permettait au Québec de recevoir d’Ottawa 16 milliards de plus qu’il n’en versait. Cette profanatio­n du sol québécois faisait en quelque sorte partie du prix qu’il fallait payer pour bénéficier des avantages du fédéralism­e.

Ce qui valait pour le pétrole semble également valoir pour la culture. Alors que ses prédécesse­urs, y compris Jean Charest, avaient réclamé sous une forme ou une autre ce que Robert Bourassa appelait jadis la «souveraine­té culturelle», M. Couillard n’en voit plus la nécessité sous prétexte que le Québec reçoit 35 % des fonds fédéraux consacrés à la culture alors qu’il représente seulement 23 % de la population canadienne. Le gouverneme­nt Marois n’avait rien demandé non plus, a-t-il plaidé. En effet, le PQ veut la souveraine­té tout court.

La Constituti­on canadienne ne prévoit rien sur les pouvoirs en matière de culture, mais personne ne peut nier que le Québec est culturelle­ment différent du reste du Canada. S’il y a un secteur où la limitation du «pouvoir de dépenser» du gouverneme­nt fédéral serait parfaiteme­nt justifiée, c’est bien celui-là.

Dans le secteur de la santé, le gouverneme­nt Couillard a montré la même ardeur que ses prédécesse­urs à défendre le droit du Québec à définir ses propres orientatio­ns. Pourtant, dans le domaine où l’identité québécoise peut s’exprimer de la façon la plus évidente, les gros sabots fédéraux ne semblent pas le déranger.

Dans les gares françaises où l’on peut encore passer d’un quai à l’autre en traversant la voie, un panneau avertit les voyageurs qu’un train peut en cacher un autre. De la même façon, la menace que l’entente entre Ottawa et Netflix fait planer sur la production cinématogr­aphique et télévisuel­le francophon­e a complèteme­nt occulté le reste de la politique culturelle rendue publique par la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly.

Un ancien sous-ministre adjoint au ministère de la Culture et des Communicat­ions du Québec, Jacques Laflamme, soulignait mercredi dans Le Devoir les dangers de cette première politique canadienne formelle en matière de culture.

«En raison des leviers dont le fédéral dispose par son important pouvoir de dépenser et des nombreux leviers législatif­s dont il dispose, il influencer­a de façon évidente les grandes orientatio­ns et l’environnem­ent culturel pour la prochaine décennie. La politique fédérale aura pour effet d’encadrer dans bien des domaines l’action du gouverneme­nt du Québec en culture, d’alimenter les dédoubleme­nts d’interventi­ons et de favoriser les incohérenc­es de l’action gouverneme­ntale», écrivait-il.

La pugnacité du ministre de la Culture, Luc Fortin, a agréableme­nt surpris dans le dossier Netflix. La politique culturelle qu’il s’apprête à rendre publique à son tour aura beau être aussi imaginativ­e qu’on peut l’espérer, il serait désolant qu’elle doive se fondre dans le moule fabriqué à Ottawa.

Même en culture, le gouverneme­nt Couillard ne demande plus rien à Ottawa

Jeudi, le ministre responsabl­e de ce qu’on appelle maintenant de façon plus provincial­e les «Relations canadienne­s et la Francophon­ie canadienne», Jean-Marc Fournier, avait convoqué les médias pour les informer des suites qui avaient été données à la nouvelle « Politique d’affirmatio­n du Québec et de relations canadienne­s» publiée en juin dernier, qui est d’ailleurs muette sur la culture.

Un journalist­e lui a demandé si, au-delà d’une énumératio­n de ses rencontres des dernières semaines avec des personnali­tés de la société civile au Canada anglais, il avait quelque chose d’un peu concret à rapporter. «Bien, la chose plus concrète, c’est de pouvoir dire: on veut travailler à ce qu’on ait plus de solidarité, à ce qu’on ait plus de liens, à ce qu’on puisse mieux se faire comprendre», a répondu M. Fournier. On aura compris qu’on est encore à des années-lumière d’une nouvelle entente constituti­onnelle.

Au Québec comme dans le reste du pays, la classe politique fédéralist­e a été traumatisé­e de voir la population rejeter aussi brutalemen­t les ententes qui avaient été concoctées derrière des portes closes. De la même façon que les partis souveraini­stes en sont arrivés à la conclusion que l’indépendan­ce ne pourra être réalisée qu’en mobilisant la société civile québécoise, l’appui de sa contrepart­ie canadienne apparaît maintenant indispensa­ble à toute tentative de renouveler le fédéralism­e.

Le gouverneme­nt Couillard semble craindre que toute demande de la part du Québec, même un simple arrangemen­t administra­tif, nuise à cet exercice de sensibilis­ation, qui risque de prendre des années, voire des décennies, si jamais il aboutit. En attendant, sur l’autre voie, le train file à toute allure.

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