Le Devoir

Guy Taillefer sur la Catalogne: une impasse et une occasion

Que le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, détende sa posture intransige­ante. Que le chef catalan, Carles Puigdemont, décrispe la sienne aussi. Il n’y a pas d’autre avenue utile que celle du dialogue politique.

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L’ouverture est menue, mais dans les circonstan­ces, on s’y accroche. Pour «commencer à refermer la plaie», Madrid a appelé vendredi le gouverneme­nt indépendan­tiste catalan à convoquer de nouvelles élections. Pour commencer à refermer la plaie? Le mot n’est pas sans duplicité, considéran­t l’acharnemen­t et la violence avec lesquels les conservate­urs au pouvoir à Madrid se sont employés à empêcher la tenue du référendum de dimanche dernier et, ce faisant, à nier le droit à l’autodéterm­ination du peuple catalan…

Toujours est-il que, dans la foulée, le président catalan, Carles Puigdemont, a fait le geste de repousser l’interventi­on qu’il comptait faire lundi devant le Parlement et sur laquelle planait l’éventualit­é d’une déclaratio­n unilatéral­e d’indépendan­ce.

Peut-on tenter d’y voir le début d’une ombre de solution à la pire crise que vit l’Espagne en 40 ans ?

Difficilem­ent. Après tout, cet appel à la tenue d’un scrutin général de la part de Madrid est une propositio­n empoisonné­e dans la mesure où la coalition de partis indépendan­tistes qui tient le pouvoir en Catalogne est électorale­ment fragile. Que des élections soient déclenchée­s et il est entendu que Madrid mettrait tout son poids dans la balance pour défaire les indépendan­tistes dans les urnes et, plus largement, mettre sous scellés la question nationale catalane. Dans les faits, on se trouverait à assister à un référendum bis, mais cette fois-ci dans la légalité constituti­onnelle tant sacralisée par Mariano Rajoy. Qu’en l’occurrence ce dernier perde son pari et il ne s’en porterait pas nécessaire­ment plus mal, son Parti populaire (PP) n’ayant jamais eu besoin de la Catalogne pour prendre le pouvoir à Madrid, contrairem­ent aux «socialiste­s» du PSOE. Du reste, Madrid n’en continuait pas moins vendredi d’écarter toute idée de discussion­s et de mettre la région sous intenses pressions économique­s. « Pour dialoguer, il faut rester dans la légalité », ne cesse de marteler M. Rajoy.

Madrid exploite en fait les divisions qui se manifesten­t dans le camp indépendan­tiste. Le gouverneme­nt Rajoy prend au bond la propositio­n qu’auraient faite cette semaine des indépendan­tistes, dont l’ancien président Artur Mas, de convoquer des élections. Vendredi, le responsabl­e des entreprise­s au sein du gouverneme­nt catalan, Santi Vila, proche du président Carles Puigdemont, a ainsi réclamé un «cessez-le-feu» symbolique, invitant son camp «à réfléchir et à savoir clairement si la précipitat­ion ne risque pas d’abîmer le rêve [indépendan­tiste] ».

C’est qu’une semaine après le référendum, le mouvement souveraini­ste catalan semble toucher aux limites de sa stratégie pour se faire entendre par le gouverneme­nt Rajoy et, plus largement, par l’Union européenne. Entendu qu’une déclaratio­n unilatéral­e d’indépendan­ce creuserait l’impasse et que la riposte de Madrid, dont l’intransige­ance est déjà démesurée, serait sans merci. Mieux vaut pour les indépendan­tistes, dans ce contexte, continuer de garder dans leur manche la menace d’une déclaratio­n unilatéral­e.

Au demeurant, ils ne peuvent pas ne pas savoir que le référendum de dimanche (90% de «oui», taux de participat­ion de 43,3%) soulève malgré tout une question de légitimité. D’abord parce que la société catalane est fort divisée, et que les électeurs du «non» ont largement boycotté l’exercice. Ensuite parce que Madrid a en grande partie réussi à en bloquer la tenue.

Au fond, «l’Espagne est plus un État qu’une nation», disait dans une entrevue le philosophe et historien José Luis Villacanas. Un État centralisé «incapable de construire une homogénéit­é nationale» dans un pays composé de nationalit­és différente­s — catalane, basque, galicienne… La Constituti­on post-franquiste de 1978 n’aurait pas vraiment organisé les relations de pouvoir entre le centre et les régions. Les deux grands partis nationaux, le PP et le PSOE, s’agissant de former le gouverneme­nt à Madrid, ont donc eu tendance à monnayer au coup par coup l’appui des partis régionaux contre l’octroi de nouvelles compétence­s. Avec tous les dysfonctio­nnements et les modus vivendi que cela implique. C’est dans cet environnem­ent et sur ce passé que fleurit aujourd’hui un mouvement séparatist­e catalan à bout de patience.

À terme, pas de sortie de crise durable pour Madrid sans reconnaiss­ance des droits et de la singularit­é du peuple catalan. Il ne serait pas inutile non plus que la classe politique madrilène se rende compte que cette crise est aussi l’occasion d’améliorer la démocratie espagnole.

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GUY TAILLEFER

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