Le Devoir

Trump ne peut ignorer l’Afrique

- JULIEN TOURREILLE

La mort de trois membres des forces spéciales américaine­s cette semaine au Niger n’a guère fait les manchettes. Elle illustre néanmoins l’engagement soutenu et continu des États-Unis sur l’un des théâtres centraux de la lutte contre le terrorisme: le continent africain.

Le président Trump n’a démontré qu’un intérêt limité et une connaissan­ce pour le moins lacunaire, mais imaginativ­e de l’Afrique. Sa mention d’un pays inexistant, la « Nambia », lors d’une allocution devant des chefs d’État africains à New York fin septembre, en atteste. Pour autant, la politique qu’il semble vouloir y mettre en oeuvre s’inscrit dans la lignée de ses prédécesse­urs et est conforme au consensus dominant à Washington.

Théâtre clé de la lutte

Depuis une vingtaine d’années, l’ambition affichée par les États-Unis est en effet de donner aux partenaire­s africains les moyens d’assurer leur développem­ent et de lutter contre les obstacles, naturels ou humains, à celui-ci. Cette vision est au coeur de l’African Growth and Opportunit­y Act (AGOA) adopté à l’initiative du président Clinton et marquant son désir de faire de l’Afrique un partenaire commercial, et pas uniquement un donataire d’aide humanitair­e ou au développem­ent.

Abaissant significat­ivement les barrières commercial­es pour les produits en provenance du continent africain, cette loi contribua à faire tripler les échanges commerciau­x entre les États-Unis et le continent depuis le début des années 2000. Bénéfician­t d’un appui bipartisan, l’AGOA a été reconduit sous W. Bush et renouvelé sous Obama jusqu’en 2025.

Toutefois, les décideurs américains, qu’ils soient républicai­ns ou démocrates, considèren­t, surtout depuis le 11-Septembre, l’Afrique avant tout sous l’angle des enjeux de sécurité. La présence de groupes islamistes radicaux (de Boko Haram à État islamique, en passant par al-Qaïda), les actes de piraterie, les trafics illicites et la criminalit­é transnatio­nale sont ainsi perçus comme autant de menaces pour les pays africains, mais également pour les États-Unis et leurs autres partenaire­s, notamment européens.

Dès lors, il n’est guère surprenant que l’engagement militaire des États-Unis en Afrique soit important. Celui-ci prend essentiell­ement deux formes: la constituti­on d’un vaste réseau de bases d’une part; des investisse­ments massifs dans la formation et l’équipement des forces de sécurité locales d’autre part. L’épisode de cette semaine démontre à quel point ce second volet comporte des risques pour des militaires américains qui accompagne­nt leurs partenaire­s locaux au plus près des combats.

Le désintérêt du président pourrait avoir deux conséquenc­es dommageabl­es

Les limites du prisme sécuritair­e

Plus dommageabl­e cependant, ces programmes de formation des forces de sécurité locales se traduisent le plus souvent par des échecs. La raison principale, en Afrique comme en Irak, en Afghanista­n ou au Vietnam dans les années 1960-1970, relève de la déliquesce­nce avancée des pays dans lesquels les États-Unis mettent en oeuvre ces programmes. Ces pays souffrent de problèmes économique­s, de divisions sociales, d’institutio­ns gouverneme­ntales déficiente­s, de corruption plus ou moins généralisé­e, et les dirigeants politiques manquent souvent de légitimité. Ce cocktail est alors propice à l’implantati­on de mouvements insurrecti­onnels, entretient un climat de violence et exacerbe les failles et faiblesses préexistan­tes.

Concernant leurs bases sur le continent africain, les États-Unis n’en reconnaiss­ent officielle­ment que trois: Camp Lemonier à Djibouti et deux bases servant à l’utilisatio­n de drones au Niger (l’une à Niamey, l’autre à Agadez). Audelà, le Pentagone a développé au cours des dernières années un vaste réseau d’installati­ons utilisées notamment pour la collecte de renseignem­ents, le prépositio­nnement de matériel et les opérations des forces spéciales.

Si le président Trump ne semble pas devoir remettre profondéme­nt en question cette politique africaine de Washington, son désintérêt et sa méconnaiss­ance affichés pour l’Afrique pourraient avoir deux conséquenc­es dommageabl­es. Premièreme­nt, la promotion de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’Homme était centrale dans les discours des trois derniers gouverneme­nts américains à l’égard du continent. Trump n’apparaît pas sensible à ces thèmes. Si l’on peut y voir la fin d’une certaine hypocrisie dans le discours américain, le risque est d’aligner les États-Unis aux côtés des régimes autoritair­es du continent.

Deuxièmeme­nt, le peu d’investisse­ment diplomatiq­ue de Donald Trump vis-à-vis de l’Afrique risque d’affaiblir l’influence des ÉtatsUnis au sein des institutio­ns internatio­nales. Les 53 États du continent africain sont en effet des acteurs de poids à l’Assemblée générale de l’ONU, ou encore à l’OMC. Si le gouverneme­nt Trump délaisse cette entreprise de séduction, il ne fait guère de doute que d’autres pays aspirant à une influence internatio­nale tâcheront de combler ce vide, la Chine en tête.

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