Le Devoir

Gouverneme­nts de proximité, dites-vous ?

Alors que la campagne électorale bat son plein dans toutes les municipali­tés du Québec, nous avons invité quelques observateu­rs de la politique municipale à nous proposer des réflexions autour de la participat­ion citoyenne et de quelques grands enjeux. Ce

- GÉRARD BEAUDET Urbaniste émérite et professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architectu­re de paysage de l’Université de Montréal

«

La perspectiv­e de l’abolition des référendum­s n’est guère réjouissan­te

S’ il n’en tient qu’à Martin Coiteux, ministre des Affaires municipale­s et de l’Occupation du territoire, les élections du 5 novembre permettron­t aux Québécois d’élire des gouverneme­nts de proximité en lieu et place de simples conseils municipaux. Dans une envolée lyrique prononcée dans le sillage de l’adoption de la loi 122 visant à reconnaîtr­e que les municipali­tés sont des gouverneme­nts de proximité et à augmenter leur autonomie et leurs pouvoirs, le ministre a en effet soutenu que l’attributio­n du statut de proximité était « la plus grande décentrali­sation de pouvoirs vers les municipali­tés de notre histoire ; ça veut dire, a-t-il poursuivi, la fin du paternalis­me ».

Plus sobres, les auteurs du

Cadre de référence de la participat­ion publique commandé par l’Union des municipali­tés du Québec soutiennen­t que « [l]a mouvance de décentrali­sation de la gouvernanc­e territoria­le instaurée par le gouverneme­nt du Québec dans les dernières années a pour objectif de reconnaîtr­e les municipali­tés comme des gouverneme­nts de proximité». Qu’en est-il au juste?

Rappelons que dans les années 1830, Alexis de Tocquevill­e et lord Durham ont déploré l’absence d’institutio­ns municipale­s dans le Bas-Canada et une centralisa­tion excessive des pouvoirs conséquent­e, notamment en regard de dossiers strictemen­t locaux. Il faudra néanmoins attendre 1855 pour qu’un véritable régime municipal soit mis en place. Un des objectifs de cette mesure était de percevoir des taxes pour financer les services publics de proximité. En d’autres termes, les municipali­tés constituai­ent des leviers de mise en oeuvre de projets d’équipement­s et de services à la propriété lancés, pour l’essentiel, dans le sillage de politiques et de programmes adoptés par le gouverneme­nt.

Quelques années plus tard, l’Acte de l’Amérique du Nord britanniqu­e attribuera une compétence exclusive en matière d’institutio­ns municipale­s aux provinces. Les municipali­tés seront, comme se plaisait à le rappeler Maurice Duplessis en 1939, les «filles de la province».

Multiplica­tion des services

Certes, les municipali­tés ont beaucoup changé depuis lors. Les services à la propriété (égout, aqueduc, éclairage, voirie, protection incendie, etc.) se sont généralisé­s. De nouveaux enjeux se sont ajoutés, notamment en matière d’environnem­ent. Mais, plus important, les services aux citoyens se sont multipliés, au point d’accaparer, dans plusieurs municipali­tés, la moitié des budgets. Culture, loisirs, mobilité, sécurité publique, immigratio­n constituen­t certains de ces nouveaux champs de responsabi­lité.

Cet élargissem­ent de la mission des municipali­tés et l’adoption de la loi 122 suffisent-ils à en faire de véritables gouverneme­nts de proximité, un statut qui fonderait un nouveau partenaria­t Québec-municipali­tés? Rien n’est moins sûr. Attardonsn­ous à deux exemples.

En adoptant la loi autorisant la Caisse de dépôt et placement à construire le réseau électrique métropolit­ain, le gouverneme­nt du Québec place celle-ci au-dessus de l’ensemble des lieux de gouvernanc­e métropolit­ains, que ce soit la Communauté métropolit­aine de Montréal (CMM), les municipali­tés constituan­tes ou l’Autorité régionale de transport métropolit­ain (ARTM). En d’autres termes, l’organisme constitué par la Caisse n’aura à répondre de ses gestes à aucune de ces instances. Ce faisant, le gouverneme­nt du Québec donne naissance à une véritable baronnie au coeur de la région métropolit­aine sans qu’aucun des quelque 80 maires ait rouspété, alors même que ces derniers réclamaien­t depuis plusieurs années une réelle responsabi­lité en matière de transports publics.

Par ailleurs, le gouverneme­nt québécois a repoussé du revers de la main la demande faite par quelque 230 municipali­tés québécoise­s de pouvoir adopter des règles adaptées au contexte local en ce qui concerne la protection des sources d’eau potable. En lieu et place d’une ouverture à laquelle on se serait attendu en contexte de partenaria­t entre deux ordres de gouverneme­nt, on n’a rien trouvé de mieux à faire au ministère des Ressources naturelles que d’annoncer la tenue d’une consultati­on publique sur quatre projets de règlements concoctés en vase clos et qui font fi des préoccupat­ions et des craintes des municipali­tés, la consultati­on devant au surplus se tenir en pleine campagne électorale municipale !

Et c’est sans compter sur les ratés du système de financemen­t des municipali­tés, que Québec refuse de revoir en profondeur. Or, faut-il le rappeler, la fiscalité municipale repose essentiell­ement sur l’impôt foncier, un mode de taxation hérité de l’époque où les services municipaux concernaie­nt la propriété et où la richesse se créait dans des immeubles que les municipali­tés pouvaient taxer, et non pas dans des lieux passableme­nt dématérial­isés.

Abolition des référendum­s

Pendant ce temps, le gouverneme­nt du Québec, dont aucun ministre n’est manifestem­ent intéressé par les questions d’urbanisme et d’aménagemen­t du territoire, propose l’abolition des référendum­s sur les modificati­ons réglementa­ires pourvu qu’un mécanisme — non contraigna­nt, s’empresse-t-on de préciser à Québec — soit adopté par les municipali­tés qui désirent se prévaloir de cette abolition. Dans un contexte où beaucoup d’élus réduisent l’urbanisme à des projets infrastruc­turels et immobilier­s, la perspectiv­e de l’abolition des référendum­s n’est guère réjouissan­te.

Fin du paternalis­me? Au mieux, il sera à géométrie variable en fonction des intérêts et des priorités du gouverneme­nt du Québec, comme le montre bien la situation décrite ci-dessus. Les municipali­tés ne peuvent en effet échapper à la tutelle gouverneme­ntale, quoiqu’on puisse prétendre à Québec pour en retirer des avantages politiques ou se délester de certaines responsabi­lités, ce qu’on a allègremen­t fait au cours des dernières décennies.

En conséquenc­e, il revient aux citoyens de reconnaîtr­e que les municipali­tés sont un lieu privilégié de constructi­on du vivre-ensemble et de prise en charge de plusieurs grands défis avec lesquels nous devons composer. Encore faut-il en être conscient. Malheureus­ement, les campagnes électorale­s sont rarement favorables à cette prise de conscience.

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