Le Devoir

José Navas: naître comme artiste loin de ses racines

Du Venezuela à Montréal, le chorégraph­e chevronné José Navas revisite son parcours artistique

- MÉLANIE CARPENTIER

Lorsqu’il part en tournée à l’internatio­nal, José Navas est fier de se présenter comme un artiste canadien. Établi à Montréal depuis 1991, c’est ici qu’il a trouvé un environnem­ent propice pour se construire et bâtir son exemplaire carrière. De retour à L’Agora de la danse avec une pièce-hommage à ses collaborat­eurs, le chorégraph­e vénézuélie­n d’origine et québécois d’adoption pose avec nous un regard rétrospect­if sur son parcours inspirant et présente les raisons derrière cette carte blanche offerte à ses concepteur­s.

«Le Venezuela, c’est mon enfance, c’est ma mémoire et ma famille », affirme le danseur cinquanten­aire avec un pincement au coeur. C’est à la fin des années 1980, à l’âge de 24 ans, qu’il quitte Caracas pour New York. Avec 200$ en poche et sans parler un mot d’anglais, il court d’audition en audition et parvient à se faire remarquer. Ainsi commence la vie profession­nelle de José Navas auprès des grands Merce Cunningham et Lucinda Childs : « New York m’a donné l’occasion de me développer en tant qu’artiste. Parce que le Venezuela ne pouvait pas m’offrir ça, une première distance avec mon pays natal s’était déjà créée dans ces années-là. »

«Comme artiste, on a toujours la clé pour trouver l’harmonie, l’humanité, cette façon d’être politique en étant au service de l’autre José Navas

Inspirer et résister à distance

Les grands changement­s politiques au Venezuela arrivent au moment où le danseur s’installe au Canada. La révolution bolivarien­ne conduit alors Hugo Chávez au pouvoir et la vie politique et économique du pays se trouve bientôt bouleversé­e, précipitan­t le Venezuela vers la crise qui affecte si durement encore ce pays riche devenu progressiv­ement pauvre.

Du côté des arts, la place dédiée aux pratiques contempora­ines s’est réduite comme peau de chagrin au profit de la culture populaire: « Comme à Cuba, ce qui était recherché, c’était le folklore. Les danseurs contempora­ins commençaie­nt donc à disparaîtr­e. Et là alors une autre distance, plus large encore, s’est immiscée entre moi et mon pays», explique José Navas qui ne reconnaît plus aujourd’hui son pays natal, constatant que la situation politique a brisé beaucoup de familles, y compris la sienne. «J’ai perdu mon pays à cause de Chávez et de sa révolution qui a créé des distances auxquelles je ne m’attendais pas, et a fermé la porte à un possible retour. En tant que danseurcho­régraphe, je pensais que mon métier m’aurait permis de garder un lien avec mon pays et qu’un jour je serais retourné pour ouvrir une école de danse et montrer ce que j’ai appris. »

Malgré cette distance, le chorégraph­e de renom espère pouvoir inspirer de jeunes artistes vénézuélie­ns. «Comme artiste, on a toujours la clé pour trouver l’harmonie, l’humanité, cette façon d’être politique en étant au service de l’autre. Le fait d’être un artiste contempora­in vénézuélie­n connu, c’est ma façon de dire au socialisme de Chávez qu’il existe des gens de talent au Venezuela, des gens éduqués et capables de rêver à un meilleur monde», affirme-t-il, convaincu que le pays et ses habitants sauront se relever de cette période creuse de l’histoire qu’ils traversent.

Un geste d’amour

Dans On (miroir du «nous» québécois), le chorégraph­e et ses collaborat­eurs revisitent des segments d’anciennes pièces produites avec l’Agora, s’autorisant des clins d’oeil à différente­s phases de son parcours esthétique. Pour l’occasion, José Navas se distancie de la forme solo qui lui est si familière, ainsi que de la direction artistique pour mieux laisser carte blanche au concepteur d’éclairages Marc Parent et au musicien Alexander MacSween. Il s’agit alors de créer un autre objet à partir d’anciens matériaux chorégraph­iques, tandis que le visuel est entièremen­t entre les mains de ses fidèles partenaire­s de création: « C’est ma façon d’honorer ces personnes dévouées qui sont peu visibles, souvent dans l’ombre. Je ne suis rien sans eux, sans leur intelligen­ce, leurs idées et leurs suggestion­s. Je voudrais qu’on voie leur magnifique talent et ce que ça donne quand on leur donne tout l’espace. »

C’est aussi l’occasion pour José Navas de renouer avec le plaisir de danser aux côtés des interprète­s qui ont marqué différente­s étapes de son parcours: Nova Bhattachar­ya, Lindsey Renee Derry, Erin Poole, François Richard et Lauren Semeschuk. Centré sur le travail collectif, On représente une sorte de halte dans une vie profession­nelle qui roule à cent à l’heure. Un relâchemen­t qui permet au chorégraph­e d’approcher le mouvement de manière intime avec les danseurs et de creuser avec eux l’état et la présence, point de mire de ses créations.

Et pour la suite? Le prolifique artiste amorcera une nouvelle tournée au Québec et en Europe avec le solo acclamé Rites, reviendra en 2019 avec une nouvelle pièce intitulée Voyage d’hiver, sur la musique de Schubert, et compte aussi jouer le jeu du ballet. Encore de belles années sourient au danseur de 53 ans — qui se perçoit comme un hybride, «ni tout à fait vénézuélie­n ni tout à fait québécois », dit-il de son accent aux notes hispanique­s — prêt à fouler les planches jusque dans ses vieux jours.

ON Une chorégraph­ie de José Navas (Compagnie Flak). Avec Nova Bhattachar­ya, Lindsey Renee Derry, José Navas, Erin Poole, François Richard et Lauren Semeschuk. Présenté par l’Agora de la danse à l’Espace danse du Wilder du 11 au 15 octobre.

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Dans On, le chorégraph­e José Navas et ses collaborat­eurs revisitent des segments d’anciennes pièces produites avec l’Agora, s’autorisant des clins d’oeil à différente­s phases de son parcours esthétique.

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