Cultiver des plantes pour en extraire les métaux, vraiment ?
L’agromine tire profit d’un phénomène naturel
L’agromine est en émergence en Europe, qui tire profit d’un phénomène naturel : la capacité qu’ont certaines plantes d’accumuler dans leurs tissus de fortes concentrations de minéraux sans s’intoxiquer. Ce sont des « hyperaccumulatrices». Cette particularité permet de les utiliser pour décontaminer des terrains miniers et des carrières, pour extraire du métal de déchets industriels ou pour pratiquer une nouvelle forme d’agriculture sur des sols riches en métaux.
Cette singularité fascinante est connue du monde scientifique depuis longtemps, mais l’idée de l’exploiter est assez récente. Elle est venue d’un scientifique américain du Department of Agriculture des États-Unis, Rufus Chaney, au début des années 1980. Il a été le premier à faire de la recherche sur les plantes accumulatrices pour décontaminer les sols, explique Alan Baker, chercheur et professeur honoraire à l’Université de Melbourne, en Australie, lors de l’International Phytotechnologies Congress (IPC) 2017 tenu récemment à Montréal.
Le bio-minerai
Les plantes accumulatrices sont connues pour leur concentration en métaux, tels que le nickel, le manganèse ou le zinc. Comme ces derniers se concentrent dans leurs tiges, leurs feuilles et leurs fleurs, en récoltant ces parties, en les incinérant puis en les extrayant des cendres, on génère un produit qu’on pourrait nommer bio-minerai.
Les plantes accumulatrices qu’on retrouve en plus grand nombre sont celles qui accumulent le nickel. D’abord parce que plus de 3% des sols sur la planète sont ultramafiques riches en nickel. Mais aussi parce que cet élément, dans ces sols, est plus facilement
disponible pour la plante que le fer, par exemple. Depuis le début des années 1970, un effort concerté a été réalisé pour identifier les plantes accumulatrices de nickel.
Or, en 2015, déjà plus de 400 espèces avaient été documentées et, parmi elles, des herbacées, des arbustes et des arbres. Ce n’est que la pointe de l’iceberg, car avec l’analyseur XRF portable pour les métaux et les alliages utilisé depuis peu, en un instant on connaît les métaux contenus dans la plante, et ce, même pour les spécimens d’herbier, souligne M. Baker.
Le projet Life-Agromine
Life-Agromine est un projet de Life, organe financier de l’Union européenne qui soutient des projets environnementaux variés depuis l’Université de Lorraine, en France. Il est le résultat de plus de 20 ans de recherches et d’expériences fructueuses par plusieurs chercheurs. En outre, il s’inscrit dans une démarche d’économie circulaire autour de la récupération de nickel par les plantes hyperaccumulatrices.
L’objectif a été et est encore, depuis 2013, de prouver avec des parcelles de démonstrations que l’agromine peut rendre de nombreux services: dépolluer les sols, produire du nickel ou de l’énergie à partir de la biomasse, être une source de revenus pour les agriculteurs dans des régions où les sols sont peu fertiles, favoriser la réhabilitation des sols et démontrer sa viabilité économique.
Le projet a des partenaires dans le monde universitaire en France, en Grèce, en Autriche, en Belgique, en Albanie et en Espagne, ainsi que de jeunes entreprises en Autriche et en France. Également, il est soutenu, entre autres, par Eramet, une entreprise minière et métallurgique française. Guillaume Echevarria, professeur en biogéochimie des sols à l’Université de Lorraine, a présenté le projet lors de l’IPC.
Parcelle de démonstration en Albanie
Une des parcelles de LifeAgromine est située en Albanie, dans la région des Balkans, où les sols ultramafiques sont courants. Cette région compte plusieurs espèces endémiques d’alyssum, une plante hyperaccumulatrice de nickel. Au congrès, la Dre Aida Bani, professeure à l’Université de Tirana, en Albanie, a présenté les résultats de sept années de culture de l’alyssum murale à Pojska, dans la région de Pogradec, en Albanie. «Les sols des Balkans sont très riches en métaux lourds et trop pauvres pour l’agriculture, explique-t-elle en entrevue. S’ils étaient cultivés, il y aurait un risque de passer des métaux dans la chaîne alimentaire. Les plantes hyperaccumulatrices possèdent de 1 à 3% de leur biomasse en nickel. Avec de bonnes techniques de culture, nous avons réussi à obtenir jusqu’à 100 kilos de nickel par hectare. En plus, les dernières techniques d’extraction permettent de récupérer jusqu’à 80% du nickel en le transformant en sels de nickel. La phytoextraction du métal peut être une solution pour les sols ultramafiques en Albanie.»
Selon les estimations des chercheurs, l’agromine sur un sol aurait une durée de vie de 30 à 60 ans. Probablement que, par la suite, le sol n’étant plus toxique et ayant été amendé, pourrait être cultivé pour des productions agricoles traditionnelles.
Décontamination des terrains miniers et des carrières À quoi sert le nickel?
En 2012, le Conseil international des mines et des métaux a publié des statistiques sur les réserves globales de minerais qui indiquent que leur qualité décline. Ce qui engendre une quantité de plus en plus grande de déchets produits par les minières afin de l’extraire, causant un problème de plus en plus important de réhabilitation. Les plantes hyperaccumulatrices pourraient fort bien, ici, jouer un rôle utile pour décontaminer et végétaliser, peut-être même pour rentabiliser les montagnes de déchets des minières.
Le nickel est très utilisé par l’industrie. Le nickel métallique fait partie de la composition de 3000 alliages qui représentent plus de 250 000 applications. Ils ont la particularité d’être très résistants aux chocs, à la corrosion et aux variations de température. C’est pourquoi l’industrie automobile en est un grand consommateur.