Le Devoir

Acceptez-vous les cadeaux ?

L’exposition L’offre scrute les manières de donner et de recevoir

- JÉRÔME DELGADO

L’OFFRE Artistes divers. À DHC/ART Fondation pour l’art contempora­in, au 451, rue Saint-Jean, à Montréal, jusqu’au 11 mars.

Un cadeau, un don, est-ce toujours bien vu de l’accepter? La nouvelle exposition de la fondation DHC/ART pose une question à laquelle il n’est pas facile de répondre.

L’expo L’offre, qui regroupe le travail de neuf artistes, permet au public d’en sortir, littéralem­ent, les mains pleines. Le visiteur qui accepte le jeu peut en effet repartir avec un bonbon, une affiche et un décalque d’un dessin à imprimer sur un t-shirt. Et même plus, aux limites du raisonnabl­e: sur une table reposent de multiples exemplaire­s d’un bouquin intitulé Volez ce livre. Oserez-vous ?

C’est par cette expo autour du concept du don que la DHC célèbre son dixième anniversai­re. La fondation enracinée dans le Vieux-Montréal aime s’afficher comme un cadeau à la collectivi­té, et c’est ainsi qu’est pensée sa programmat­ion, autant L’offre que toutes les manifestat­ions précédente­s.

Les exposition­s anniversai­res tombent souvent dans la rétrospect­ive complaisan­te. Celle qui annonce vouloir souligner la grande générosité de l’organisme semblait destinée à suivre cette lignée. Et pourtant non, le résultat auquel aboutit la commissair­e de la DHC, Cheryl Sim, ne fait pas que dans la fête bébête. Place au doute, au malaise, à l’ironie.

Don et contre-don

La propositio­n derrière L’offre n’est pas un cadeau empoisonné, du tout. Mais avec des oeuvres qui rappellent les effets tordus que provoque parfois la pratique du don, l’expo exprime ce qu’on n’ose pas toujours avouer. Donner et recevoir n’est pas si simple dans une société où tout se négocie. Chaque geste, même gratuit, est soupçon d’intérêts.

L’installati­on en une soixantain­e de tambours de Sonny Assu, Silenced: The Burning (2011), évoque la longue interdicti­on par le gouverneme­nt canadien du potlatch, cette traditionn­elle cérémonie amérindien­ne basée sur le don et le contre-don. Il aurait fallu 67 ans (1889-1954) avant que l’État n’y voie pas une entrave à la logique marchande des Blancs.

Au tournant des années 1990, le travail du regretté Felix Gonzalez-Torres (19571996) est devenu une métaphore de la propagatio­n du sida, maladie qui se «donne» par amour. La DHC présente deux exemples de ses piles d’affiches ou de ses tas de bonbons. On est libre de prendre un élément de chaque sculpture, contribuan­t ainsi à sa lente destructio­n et à sa sournoise mise en circulatio­n dans l’espace public.

Comme représenta­nt d’une pratique ancrée dans le don, la DHC ne pouvait trouver mieux que Gonzalez-Torres. Le NewYorkais d’origine cubaine fait aussi figure emblématiq­ue de l’art internatio­nal que la fondation s’est donné comme mission de diffuser. L’actuelle exposition ne déroge pas à cette règle, excepté la présence d’Assu, un des rares Canadiens à avoir percé en dix ans les murs de l’édifice de la rue Saint-Jean.

Engagement

Dans son obstinatio­n à croire que l’art local n’a pas besoin de son soutien, la DHC ne fait cependant cadeau à personne. Sur le thème du don, il aurait été pourtant pertinent d’inclure le travail de nombre d’entre eux, tel le duo Ibghy & Lemmens, Ève Cadieux ou Josée Pedneault.

L’échange du genre « confiemoi un de tes objets et je m’en sers pour une oeuvre», ces artistes en ont fait déjà cas dans le passé, mais la DHC préfère se tourner vers l’étranger, à l’instar de Pearls (1999-), de Simryn Gill. Ce projet de longue haleine n’est cependant pas sans intérêt.

La pratique du recyclage et de la réappropri­ation se fait aussi à l’insu de l’artiste, comme en témoigne l’oeuvre Love, Theft, Gifting and More Love (2009) de Mike Kelley. L’homme de Detroit, décédé en 2012, a usé de ruse pour refaire sien un dessin offert à un ami qu’il a retrouvé comme logo sur un t-shirt. L’installati­on exposée montre à quel point il faut accepter qu’un don puisse se retourner contre soi.

Chez le Taïwanais Lee Mingwei, tout repose sur une confiance mutuelle. La série photograph­ique Money for Art #1-5 (1994) est née dans un échange avec des inconnus, un billet de 10$US en forme d’origami contre leur numéro de téléphone. Chacun était libre de faire ce qu’il voulait avec l’argent. L’un d’eux, un sans-abri, l’avait conservé tel quel douze mois plus tard.

Toujours de Lee, l’installati­on musicale Sonic Blossom (2013-) — un air de Schubert chanté live — pousse le visiteur à réagir illico à la question d’une personne en chair et en os « Est-ce que je peux vous offrir une chanson?» Présentée de multiples fois en Asie, l’oeuvre a abouti une seule fois en une réponse négative. En Amérique du Nord, chaque jour, la moitié des visiteurs l’a refusée. L’engagement, même devant un cadeau, fait plus peur dans certains coins du monde.

Sachez que le bouquin Steal this Book (2009), de Dora Garcia, est aussi en vente à la DHC.

 ?? NEIL GREENTREE ?? Simryn Gill, Pearls: K.M. Pannikar, Asia and Western Dominance (London: Allen & Unwin, 3rd impression, 1953), 2005.
NEIL GREENTREE Simryn Gill, Pearls: K.M. Pannikar, Asia and Western Dominance (London: Allen & Unwin, 3rd impression, 1953), 2005.

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