Secrets d’atelier avec Janet Werner et Anthony Burnham
Entre gestualité et illusion, leurs peintures font mine de révéler leur genèse
STICKY PICTURES De Janet Werner. À la Parisian Laundry, 3550, rue Saint-Antoine Ouest, jusqu’au 7 octobre.
ANTHONY BURNHAM À la galerie René Blouin, 10, rue King, jusqu’au 4 novembre.
Pour qui se demande si la peinture a toujours sa raison d’être, les expositions de Janet Werner et d’Anthony Burnham, dans leur galerie respective, font l’admirable preuve que oui. Leur concomitance, bien accidentelle, permet d’observer la vitalité de la pratique picturale dans ses manifestations les plus stimulantes.
Aussi, bien que nettement différentes, les oeuvres de la première — pour qui l’exposition se termine aujourd’hui — et du second se rejoignent par leur volonté de tourner l’attention sur leur processus de travail, lequel se nourrit de passages entre des modèles et leurs représentations. L’atelier, cet espace de travail, est alors évoqué, même si ce n’est que par de bien fines allusions. Puis, la genèse des oeuvres elles-mêmes semble inséparable de leur résultat. Il s’ensuit une réflexion sur la peinture, une autocritique qui trouve cependant ses courroies de transmission dans des composantes périphériques au tableau en soi.
Janet Werner
Avec Sticky Pictures, Janet Werner opère un important tournant dans sa pratique. Si sa nouvelle production présentée à la Parisian Laundry garde de ses portraits antérieurs les personnages féminins, elle en déroge ici pour introduire des indices sur les sources qui en constituaient les modèles. Le cadrage de la scène s’élargit donc au-delà de la figure humaine pour laisser voir la table de travail, le mur, le support.
Sur ces surfaces, d’autres surfaces apparaissent avec celles des images trouvées par l’artiste dans les revues de masse et les livres qui jouaient le rôle de modèles. Elles jonchent le sol, éparses, ou tiennent ensemble par des collages incongrus. Tablant sur l’idée que cette imagerie encourage des représentations stéréotypées et normalisantes des femmes, est-il possible de penser, Janet Werner, pour les tableaux qu’on lui connaissait, s’attachait en effet à les déconstruire par des opérations physiques abîmant leur surface trop lisse obtenue souvent par les outils de manipulations numériques, avant de les transposer en peinture. Une peinture à la facture expressive et gestuelle, engageant un autre ordre de dégradation visuelle, mais bonifiant l’aspect tactile et viscéral. Le regard, en somme, n’y est plus maître.
Les ruptures d’échelles, les figures en fragments déphasés et les disproportions se faisaient les indices des interventions pratiquées sur les sources du modèle, sans même qu’il soit nécessaire d’imaginer en quoi les portraits en étaient les fidèles traductions, au contraire. Il en découlait des toiles de grands formats saisissantes, voire séduisantes.
En nous permettant, dans les nouvelles oeuvres, de prendre avec elle un pas de recul dans l’espace de l’atelier, Janet Werner suspend ce phénomène d’attraction tout en en conservant des effets. Dans certaines oeuvres, l’artiste ose se départir complètement de la figure humaine. Il n’y a parfois qu’un rideau ouvert sur un fond dégarni. Contre cette métaphore appuyée de la peinture comme mise en scène, ou construction, se démarquent davantage les surfaces de travail où la spatialité ambiguë d’un coin de table dépouillé réaffirme avec àpropos l’image comme surface de projections.
Anthony Burnham
Dans son travail antérieur mené depuis environ 10 ans, Anthony Burnham thématise les rapports entre la représentation et son modèle pour en défaire la prééminence de l’un sur l’autre, pour abolir la hiérarchie entre la copie et l’original. Son exploration prend forme à partir d’un modèle qu’il a fabriqué, une sculpture abstraite dont il fait varier les simples composantes en les assemblant différemment. Il en exploite les volumes, les plans et les ombres dans l’atelier, cet espace d’expérimentation continuelle.
Déjà rendu familier lors du dernier solo de l’artiste en 2014 chez son galeriste René Blouin, le motif réapparaît avec insistance dans la présente série de toiles que Burnham a disposées dans l’espace en recherchant un effet scénographique englobant l’expérience. Le parcours ainsi conçu procure de grands plaisirs en faisant découvrir les déclinaisons de la sculpture dont la présence se rend quasi tangible grâce précisément aux artifices de la peinture. Quand, sur les pourtours de certains tableaux, des bandes noires, mates et opaques, apparaissent, tels des fonds de scène ou des écrans, c’est à se demander si d’autres intermédiaires n’ont pas été impliqués dans le processus.
Des mises en abyme, des images de l’image de la sculpture, évidentes, peut-être seulement en apparence, s’offrent d’ailleurs au regard, qui est ainsi propulsé dans une énigme. Un paravent obstruant le passage constitue le point nodal de cette exposition qui ne manque décidément pas de punch. Il concrétise l’image comme objet dans l’espace et remet de l’avant un vieux modèle de l’artiste, un étrange chevalet dont les airs anthropomorphiques confèrent une singulière vie autonome à l’oeuvre.