Le Devoir

Dalie Giroux invite le Québec à se «désinfério­riser»

La politologu­e Dalie Giroux reproche aux indépendan­tistes québécois de ne pas savoir repenser l’anticoloni­alisme

- MICHEL LAPIERRE

«Prendre la vie politique québécoise par le bout de son épaisseur culturelle », voilà l’intention de la politologu­e Dalie Giroux dans Le Québec brûle en enfer, livre qu’elle présente comme un « pari ». Elle n’hésite pas à placer son recueil d’essais «sous le patronage» du plus narquois de nos diables littéraire­s: Jacques Ferron. Pourrait-il en être autrement? Elle y blâme les tenants de l’indépendan­ce de ne pas repenser l’anticoloni­alisme.

Née à Lévis en 1974, Dalie Giroux enseigne aujourd’hui la pensée politique à l’Université d’Ottawa, mais reste capable d’élucider ce qu’elle décrit comme «la croix bleue du SaintLaure­nt (de Chicoutimi à SaintGeorg­es, de Plessisvil­le à Rimouski), aussi appelée “mystère de Québec”». Cette géographie du conservati­sme, surtout évidente aux élections fédérales, fait partie, selon elle, du «magma» de «la matière symbolique» où se décèlerait « le mieux le jeu codé de puissances souterrain­es » qui hantent la politique.

Le conservati­sme en question, aussi présent ailleurs au Québec, se conjugue avec un nationalis­me flou qui n’a rien à voir avec les idées de libération nationale et de décolonisa­tion, mais beaucoup avec ce que la politologu­e appelle «le complexe identitair­e». L’usage du « nous » obsessif caractéris­e celui-ci. Il se retrouve aussi bien chez les peuples sûrs d’eux-mêmes et dominateur­s que chez les peuples, comme les Québécois, historique­ment inférioris­és et mal à l’aise à l’échelle internatio­nale.

Si la décolonisa­tion par rapport à l’impérialis­me britanniqu­e apparaît dépassée, c’est que les péquistes ne l’ont pas actualisée en l’élargissan­t à la dimension de la planète. Il faut, explique Dalie Giroux, non seulement libérer une nation, mais, de façon plus profonde et plus globale, «décolonise­r la société pour sortir de manière concrète de la souffrance économique créée par le capitalism­e mondialisé».

Son analyse remarquabl­e de l’aberrante continuité occulte entre l’ancien colonialis­me de Londres et le nationalis­me actuel d’un Parti québécois dégénéré est troublante. La politologu­e soutient ce qui suit: «L’élite a pris sur elle, de manière aveugle ou intéressée, l’entreprise économique de l’impérialis­me britanniqu­e et a reformulé en conséquenc­e le projet d’indépendan­ce dans la grammaire de l’identité et de l’État fort qui, pour d’excellente­s raisons, ne trouve pas écho chez les nouvelles génération­s.»

À elle seule, cette réflexion constitue la clé d’un ouvrage touffu qui suggère plus qu’il n’expose. Elle permet de saisir la portée du cri du coeur lancé par un autochtone au Québec et que Dalie Giroux trouve sublime. Opposé à la marchandis­ation de la terre ancestrale par des capitalist­es, le militant veut garder cette terre pour assurer le mode de vie de la prochaine génération et s’exclame: «Pas l’argent. Mes enfants!» Ce devrait être le cri des indépendan­tistes québécois.

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RON POLING LA PRESSE CANADIENNE Signature de la Constituti­on canadienne par la reine Élizabeth II, en présence du premier ministre Pierre Elliott Trudeau, en avril 1982. L’analyse par Dalie Giroux de l’aberrante continuité occulte entre l’ancien colonialis­me de Londres et le...

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