Dalie Giroux invite le Québec à se «désinférioriser»
La politologue Dalie Giroux reproche aux indépendantistes québécois de ne pas savoir repenser l’anticolonialisme
«Prendre la vie politique québécoise par le bout de son épaisseur culturelle », voilà l’intention de la politologue Dalie Giroux dans Le Québec brûle en enfer, livre qu’elle présente comme un « pari ». Elle n’hésite pas à placer son recueil d’essais «sous le patronage» du plus narquois de nos diables littéraires: Jacques Ferron. Pourrait-il en être autrement? Elle y blâme les tenants de l’indépendance de ne pas repenser l’anticolonialisme.
Née à Lévis en 1974, Dalie Giroux enseigne aujourd’hui la pensée politique à l’Université d’Ottawa, mais reste capable d’élucider ce qu’elle décrit comme «la croix bleue du SaintLaurent (de Chicoutimi à SaintGeorges, de Plessisville à Rimouski), aussi appelée “mystère de Québec”». Cette géographie du conservatisme, surtout évidente aux élections fédérales, fait partie, selon elle, du «magma» de «la matière symbolique» où se décèlerait « le mieux le jeu codé de puissances souterraines » qui hantent la politique.
Le conservatisme en question, aussi présent ailleurs au Québec, se conjugue avec un nationalisme flou qui n’a rien à voir avec les idées de libération nationale et de décolonisation, mais beaucoup avec ce que la politologue appelle «le complexe identitaire». L’usage du « nous » obsessif caractérise celui-ci. Il se retrouve aussi bien chez les peuples sûrs d’eux-mêmes et dominateurs que chez les peuples, comme les Québécois, historiquement infériorisés et mal à l’aise à l’échelle internationale.
Si la décolonisation par rapport à l’impérialisme britannique apparaît dépassée, c’est que les péquistes ne l’ont pas actualisée en l’élargissant à la dimension de la planète. Il faut, explique Dalie Giroux, non seulement libérer une nation, mais, de façon plus profonde et plus globale, «décoloniser la société pour sortir de manière concrète de la souffrance économique créée par le capitalisme mondialisé».
Son analyse remarquable de l’aberrante continuité occulte entre l’ancien colonialisme de Londres et le nationalisme actuel d’un Parti québécois dégénéré est troublante. La politologue soutient ce qui suit: «L’élite a pris sur elle, de manière aveugle ou intéressée, l’entreprise économique de l’impérialisme britannique et a reformulé en conséquence le projet d’indépendance dans la grammaire de l’identité et de l’État fort qui, pour d’excellentes raisons, ne trouve pas écho chez les nouvelles générations.»
À elle seule, cette réflexion constitue la clé d’un ouvrage touffu qui suggère plus qu’il n’expose. Elle permet de saisir la portée du cri du coeur lancé par un autochtone au Québec et que Dalie Giroux trouve sublime. Opposé à la marchandisation de la terre ancestrale par des capitalistes, le militant veut garder cette terre pour assurer le mode de vie de la prochaine génération et s’exclame: «Pas l’argent. Mes enfants!» Ce devrait être le cri des indépendantistes québécois.