Richard Wagamese
Sur le déracinement culturel
Avec le décès en mars dernier de l’écrivain ojibwé de langue anglaise Richard Wagamese, le Canada perdait sans contredit l’une de ses voix autochtones les plus fortes.
Sorti à l’origine en 2012 en anglais, en plein coeur de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Cheval Indien raconte une histoire qui ne peut laisser indifférent. Journaliste, chroniqueur, essayiste et romancier, Wagamese s’y fait le portevoix des traumatismes vécus par son peuple.
Dernier survivant de sa lignée familiale ojibwée du nord-ouest de l’Ontario, Saul Cheval Indien, 33 ans, a échoué dans un centre de désintoxication après un séjour de quelques semaines à l’hôpital. Ivrogne invétéré encouragé à prendre la parole pour se libérer de son passé, le roman au «je» empruntera ainsi la forme d’une confession, d’une descente aux enfers, d’un long cauchemar partagé.
D’une blessure à l’autre, Saul ouvre ainsi une véritable boîte de Pandore: l’histoire de sa famille, la sienne, celle des pensionnats autochtones et du racisme ordinaire des années 1960 et 1970.
Au début des années 1960, des Blancs font irruption pour venir arracher à la pointe du fusil sa soeur de six ans, avant de revenir chercher l’année suivante un frère plus âgé, en croyant les sauver tous les deux de leur existence «sauvage». Saul ne reverra jamais sa soeur, mais son frère parviendra à s’échapper, rapportant pour seul bagage une tuberculose dont il va vite mourir.
Vers le pensionnat
Démolis par le chagrin, ses parents vont prendre le large. Resté seul dans la forêt avec sa grand-mère jusqu’à la mort de la vieille femme, morte de froid, le petit Saul va être recueilli in extremis avant d’être envoyé dans l’un de ces fameux pensionnats autochtones opérés par des religieux — qui servaient à évangéliser et à assimiler. «J’ai grandi dans la crainte de l’homme blanc. Les faits m’ont donné raison», commente-t-il. L’insoutenable cruauté des religieuses, la dépravation des frères, l’isolement, dans Cheval Indien, Wagamese lève le
voile à son tour sur l’une des pires histoires d’horreur du XXe siècle au Canada.
Heureusement pour le garçon, la découverte du hockey va vite lui servir de soupape. Tous s’entendent sur une chose: il possède un don unique. Mieux encore : « J’avais le sentiment d’être entré en contact avec quelque chose de
plus grand que moi.» Mais en grandissant, joueur merveille muré dans le silence, d’une équipe locale au club-école des Maple Leafs de Toronto, à force de se buter au racisme, à la méchanceté et à la violence, Saul se verra contraint de renoncer à son seul espace de bonheur et de liberté.
Jusqu’à ce qu’explosent une rage trop longtemps retenue et des secrets difficiles à avouer. Un monstre au ventre abyssal qu’il va tenter de nourrir à travers la fuite et les comportements autodestructeurs.
Si les sévices et les expériences du pensionnat ont surtout été vécus, semble-t-il, par les adultes de sa famille, le parcours accidenté vers la parole qui libère est d’abord et avant tout celui qu’a emprunté lui-même Richard Wagamese il y a longtemps.
Abandonné par ses parents, ayant grandi en famille d’accueil, maltraité et coupé pendant une vingtaine d’années de ses racines autochtones, Wagamese fait ici siens en bonne partie, on s’en doute, les multiples traumatismes vécus par son héros.
Des éclairs poétiques, une litanie d’horreurs et une absence de manichéisme font de
Cheval Indien un exercice de guérison spirituelle et de partage qui devrait nous ouvrir les yeux.