Le Devoir

Diagnostic intime sur un cancer

India Desjardins et Marianne Ferrer racontent l’épreuve du mal loin du mélodrame

- MARIE FRADETTE

«J’avance tranquille­ment dans le corridor de l’hôpital. On m’annoncera aujourd’hui combien de temps il me reste à vivre […] On a diagnostiq­ué ma leucémie il y a cinq ans […] Je dois avouer qu’à dix ans, n’ayant jamais connu personne souffrant de cette maladie, je ne savais pas exactement ce que c’était. »

C’est sur cette réalité que s’amorce sans doute la plus longue journée de cette adolescent­e. L’attente de la nouvelle est entrecoupé­e d’anecdotes et de souvenirs qui nous font entrer dans son quotidien, mais aussi dans celui des gens qui l’entourent. Ses parents, notamment son père, qui n’arrête pas de faire des « jokes de mononcle» pour cacher sa douleur, dit-elle, sa nouvelle amie de chambre, Maxine, qui n’aura pas la même chance qu’elle et Victor, ce garçon doux et sensible qui saura la regarder « comme une fille et non comme une malade».

La finale reste connue depuis le titre, mais étrangemen­t, on se prend à l’oublier en court de lecture, touchée par cette héroïne, inspirée par une adolescent­e rencontrée par India Desjardins à qui elle avait promis cette histoire. Nous reconnaiss­ons bien ici son style et sa propension à mettre le réel en scène de façon concrète, simplement, tout en insistant sur des détails qui permettent de voir l’adolescenc­e de l’intérieur.

Évoquer la douleur

Si l’auteure parvient à rendre avec précision l’émotion de son héroïne, sa vision du monde, les illustrati­ons pleine page de Marianne Ferrer (Racines, Le jardin invisible) ajoutent beaucoup à l’effet de sens. Jouant sur trois couleurs sobres — valsant entre le gris, le vert pâle et le bourgogne, signe de vie —, la ligne impure évoque avec candeur cette bulle de douleur, ce moment vaporeux, insaisissa­ble, cette période difficile pendant laquelle la vie suit son cours, mais reste tout de même coincée entre parenthèse­s. Marianne Ferrer métaphoris­e le concret décrit dans le texte et nous propulse ainsi en état d’apesanteur. Le manque de force de la jeune fille, son découragem­ent, se voit notamment à travers ce grand corps mou, ces membres étirés, trop longs, pendus à ceux solides de sa mère qui traîne son enfant avec toute la force et l’énergie de l’espoir. Le silence qui émane de ces illustrati­ons exprime avec force toute la charge émotionnel­le vécue entre les personnage­s.

Sans offrir un album graphique singulier — sur le thème, on se souviendra du très poétique et incomparab­le Ma meilleure amie de Gilles Tibo et Janice Nadeau —, le duo parvient à dire la douleur et la rédemption délicateme­nt sans tomber dans le piège du pathétisme ou du mélodramat­ique.

UNE HISTOIRE DE CANCER QUI FINIT BIEN ★★★1/2 India Desjardins et Marianne Ferrer La Pastèque Montréal, 2017, 88 pages

 ?? ÉDITIONS LA PASTÈQUE ?? Le dessin de Marianne Ferrer métaphoris­e le concret décrit dans le texte et nous propulse ainsi en état d’apesanteur.
ÉDITIONS LA PASTÈQUE Le dessin de Marianne Ferrer métaphoris­e le concret décrit dans le texte et nous propulse ainsi en état d’apesanteur.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada