Dans les fissures des quotidiens un peu trop lisses
Emmanuel Bouchard dévoile son univers méditatif en 17 nouvelles
Exposant les fissures à la surface trop lisse du quotidien le temps des dix-sept nouvelles courtes qui forment Les faux mouvements, Emmanuel Bouchard cherche à rendre visible ce qui peut échapper au regard.
D’une histoire à l’autre, le plus souvent le narrateur y est le même. C’est-à-dire qu’il enseigne le français et la littérature dans un cégep de Québec — comme l’auteur lui-même. Observateur, personnage sensible et un peu contemplatif, il semble glisser à la surface des choses.
À Paris, auprès d’un bouquiniste des quais de la Seine, l’homme essaie de se débarrasser du recueil de poèmes de Leonard Cohen que lui a laissé Helena, une éphémère compagne de voyage qui vient de le quitter. Plus loin, on le retrouve en spectateur impuissant de la détresse d’une de ses anciennes étudiantes qui s’est immobilisée à une intersection au volant de son auto (L’insulaire). À Montréal, le couple qu’il forme désormais avec Helena décide de suivre un écrivain devenu «immortel» (lire: membre de l’Académie française) à la sortie d’une librairie pour découvrir quels livres il a achetés (Filature).
D’autres nouvelles prennent pour théâtre l’univers collégial, terreau fertile de l’absurde et de tensions — comme l’est tout milieu de travail. On y croisera une série d’anecdotes autour d’un «ponctuateur» inventé par un collègue pour le centre d’aide au français, une collègue enseignante qui s’est évaporée (Mettre la mer dans un verre d’eau), un prof qui se débat avec l’informatique alors qu’il présente en classe un schéma explicatif du Frankenstein de Mary Shelley (Intelligences multiples).
Ailleurs, Emmanuel Bouchard évoque le temps qui passe et qui finira par tout emporter. Ici, un homme — le même? — observe un enfant seul qui joue et qui lui rappelle les moments de solitude de sa propre enfance. Ici, il est remué par une boîte d’objets ayant appartenu à son père décédé. Là, une crise de nostalgie à l’écoute d’une chanson de Pink Floyd sert de prétexte pour rencontrer un voisin. Dans une autre nouvelle, le narrateur et sa compagne emménagent dans une maison «à l’écart de la ville», choisie pour le grand frêne qui l’illumine, avant que l’arbre, miroir de l’âme du narrateur, ne se mette à dépérir (L’agrile).
Des personnages qui disjonctent parfois, qui évoluent en équilibre fragile avant de basculer parfois, à la faveur de petites déflagrations, dans la dépression ou la folie. Traversé du début à la fin par l’histoire d’amour du narrateur pour Helena, une Anglaise «yeux de volcan millénaire » rencontrée lors d’un voyage en France, Les faux mouvements prend appui sur la présence aussi solide que discrète de cette femme.
Né à Chicoutimi en 1973, auteur de deux romans (Depuis les cendres, La même blessure, Septentrion, 2011 et 2015) et d’un premier recueil de nouvelles (Au passage, 2008), Emmanuel Bouchard compose à petites touches discrètes et sans faire d’éclats un univers à la tonalité surtout méditative.
Des histoires souvent minces, dont le dénouement est à l’occasion prévisible, qui flirtent avec la poésie et le fantastique léger. Une forme de banalité qu’une écriture au phrasé parfois maladroit ne parvient pas à illuminer complètement.
LES FAUX MOUVEMENTS
Emmanuel Bouchard Hamac Québec, 2017, 114 pages