Le Devoir

Vacances d’un rat au Brésil

Olivier Guez s’inspire de la cavale sud-américaine d’un médecin tortionnai­re d’Auschwitz

- CHRISTIAN DESMEULES

En février 1979, un vieux moustachu se noie après un malaise sur une plage du sud-est brésilien, alors que sa tête était mise à prix pour 3,4 millions de dollars américains. Vite enterré sous le nom de Wolfgang Gerhard, dont il utilisait la carte d’identité depuis quelques années, son cadavre sera exhumé en 1985, mettant fin à une traque internatio­nale qui aura duré quarante ans.

En s’inspirant du parcours à obstacles de Josef Mengele en Amérique du Sud, Olivier Guez cède à son tour à la vogue de l’exofiction (sousgenre romanesque qui s’appuie sur la vie d’un personnage réel tout en se permettant d’inventer) pour nous donner La disparitio­n de Josef Mengele, son deuxième roman.

À la fin des années 1940, à l’initiative du gouverneme­nt Perón, Buenos Aires est devenue un nid de criminels de guerre. Échoués sur les rives du Rio de la Plata : nazis, oustachis croates, fascistes italiens, vichystes en goguette. Des tortionnai­res, des assassins, des criminels. Perón prend plaisir à fouiller les poubelles de l’Histoire. En Argentine, après la Seconde Guerre mondiale, le passé n’existe pas.

Officier SS, «employé modèle des usines de la mort», médecin et «ingénieur de la race aryenne», Mengele poursuivai­t avec passion et acharnemen­t à Auschwitz ses recherches anthropolo­giques et génétiques. Il y menait avec une rare cruauté des expériment­ations sur les déportés — avec un intérêt particulie­r pour les vrais jumeaux, les nains ou les personnes souffrant de difformité­s. Sélection, vivisectio­n, dissection.

En 1949, aidé par un réseau d’anciens SS, le médecin nazi va dériver vers l’Argentine, se cachant d’abord sous de fausses identités, avant de se détendre un peu et de reprendre son nom. Discret et prudent, toujours prêt à minimiser son rôle au sein de la machine de destructio­n nazie, recevant de l’argent de sa famille d’industriel­s restée en Allemagne, Mengele traverse la frontière pour s’installer au Paraguay, où le régime Stroessner était tout aussi conciliant.

Mais en 1960, en Argentine, le Mossad capture Adolf Eichmann, officier SS du IIIe Reich et responsabl­e de la logistique de la «solution finale». Mengele est le prochain sur la liste des Israéliens, il le sait. Ses beaux jours en exil s’assombriss­ent, sa vie bascule à nouveau et sa cavale le pousse cette fois vers le Brésil. Métis d’Indiens, d’Africains et d’Européens, « peuple antéchrist pour un théoricien fanatique de la race», Mengele avait particuliè­rement en horreur les Brésiliens.

Grâce à la complicité de quelques proches et de nostalgiqu­es du IIIe Reich, il pourra couler des jours tranquille­s dans une ferme des environs de São Paulo tenue par une famille d’immigrés hongrois.

Alors que Klaus Barbie est confortabl­ement installé en Bolivie (il sera arrêté et extradé vers la France en 1983), que des centaines d’autres nazis sont passés à travers les mailles du filet, l’Allemagne entreprend mollement de faire un peu de ménage dans son passé.

Peu à peu lâché par ses complices, tandis que la légende de sa cavale s’amplifie — à coups de fabulation­s du chasseur de nazis Simon Wiesenthal et d’apparition­s éclair dans la littératur­e et le cinéma —, le bourreau verra son existence se transforme­r en une sorte d’enfer climatisé.

Histoire noire

C’est cette histoire noire et invisible que cherche à raconter La disparitio­n de Josef Mengele, récit linéaire et un peu clinique. Considéran­t l’ampleur des zones d’ombre malgré l’ampleur de ses recherches, la fiction s’est vite imposée à l’écrivain, qui s’est notamment inspiré du journal du tortionnai­re, auquel certains biographes ont eu accès.

Plongeant ses mains dans les entrailles nauséabond­es du XXe siècle, Olivier Guez, journalist­e et romancier français né en 1974, s’intéresse au mal en s’effaçant le plus possible. Il invente et fouille de manière posthume la vie

d’animal traqué de Mengele. Qui devient sous sa plume un rat aux abois, une vermine nazie, un personnage abject qu’il ne cherche surtout pas à rendre sympathiqu­e.

LA DISPARITIO­N DE JOSEF MENGELE ★★★1/2 Olivier Guez Grasset Paris, 2017, 240 pages

Les jours, les semaines, les mois défilent, ainsi stagne la vie confinée de Mengele au Brésil dans son cachot ouvert sur l’infini et loin des hommes, une vie figée dans un bourdonnem­ent incessant [...] Extrait de La disparitio­n de Josef Mengele

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WIKICOMMON­S Josef Mengele en 1956
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