Anticosti dans la mire des « Boches »
Hugues Théorêt raconte la tentative d’appropriation de l’île par l’Allemagne nazie
En 1937, l’île d’Anticosti est dans la mire d’un groupe d’investisseurs allemands en quête de bois pour alimenter l’industrie forestière du IIIe Reich. L’inspection de ses côtes par les «Boches» fait craindre la construction d’une base de sousmarins nazie aux portes de l’estuaire du Saint-Laurent. L’historien Hugues Théorêt s’est rendu à Berlin pour tenter d’éclaircir cet épisode embrumé de « l’île aux naufrages».
À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, l’intérêt des Allemands pour Anticosti plonge le Canada dans une psychose nationale. « Une douzaine d’obus tirée à dix milles nautiques depuis la mer rendraient impossible l’occupation des grandes villes», prévient le chef du Parti conservateur, Richard B. Bennett, en évoquant les canons allemands qui seraient alignés sur les battures de l’île.
Le vol récent du zeppelin Hindenburg au-dessus du Saint-Laurent a marqué l’imaginaire. «Avec le progrès inouï des moyens de transport, il peut se faire un jour que les villes de Québec et de Montréal ne soient pas totalement à l’abri de bombardements aériens », écrit Jean-Charles Harvey, de l’hebdomadaire Le Jour. Pour noyer le poisson, ce dernier propose déjà la création d’une réserve naturelle qui engloberait les 8000km2 de l’île appartenant à la Consolidated Paper : «On en ferait le plus magnifique parc national du Canada.»
Comme aujourd’hui, l’exploitation des ressources d’Anticosti est au coeur des débats du Parlement québécois. Opposé à la vente de l’île aux Allemands, le premier ministre Maurice Duplessis devient le héros du Canada anglais. Son homologue fédéral, Mackenzie King, se réfugie plutôt dans le respect des compétences provinciales dans une lettre au dauphin d’Hitler, Herman Göring, qu’il a rencontré un peu plus tôt à Berlin. Les deux hommes ne pourront réaliser leur voyage de chasse prévu dans les forêts du dominion.
Anticosti refait surface dans l’actualité en 1942 avec l’arrivée des premiers U-boots allemands qui sillonnent le Saint-Laurent pour torpiller les navires de la marine marchande canadienne. «Si Hitler a des bottes si pesantes, cela est dû aux capitalistes anglais et américains qui lui ont fourni de l’argent pour se les acheter, lance Duplessis à partir des banquettes de l’opposition. Lorsque j’étais au pouvoir, j’ai empêché Hitler de s’installer à Anticosti.»
Le IIIe Reich a-t-il vraiment envisagé l’implantation d’une base de sous-marins dans l’arrière-cour de l’empire américain? La question est secondaire pour Duplessis, qui ne manque pas une occasion de rappeler son refus de céder les ressources de sa « province » aux «puissances étrangères». « C’est plutôt ironique, observe Théorêt dans son petit essai dédié aux victimes de la bataille du Saint-Laurent, lorsque l’on sait que ce même premier ministre cédera les mines de fer du nord du Québec à des compagnies américaines dans les années 1950!»