Au menu des portes ouvertes cet automne
Le Laboratoire d’optique diagnostique et d’imagerie (LODI) se démarque sur la scène internationale dans le domaine du génie biomédical. Visite dans ses locaux situés dans le pavillon principal de Polytechnique Montréal.
Chaque fois qu’un étudiant traverse la porte du local du Laboratoire d’optique diagnostique et d’imagerie (LODI), sa volubile directrice, Caroline Boudoux, prend le temps de le saluer, de le présenter, d’expliquer le projet sur lequel il travaille. «Les grands laboratoires deviennent rapidement anonymes. C’est de la production. C’est correct. Ça fait avancer la science et l’humanité. Mais moi, j’avais besoin d’une approche un peu plus personnelle», affirme-t-elle. C’est ce qui explique en partie sa motivation, en 2007, de venir à Polytechnique Montréal. Elle venait de terminer son doctorat au Massachusetts Institute of Technology, dans un programme en partenariat avec la Harvard Medical School. Elle s’éloignait ainsi des laboratoires «locomotives», roulant avec plusieurs millions de dollars et des équipes d’une cinquantaine de personnes.
Elle explique ce choix dans un local garni de fils, de moniteurs, de laser, de prismes, de lentilles, ainsi que de tableaux blancs colorés de calculs et de graphiques sur les murs. Quatre étudiants viennent y travailler durant l’entrevue. Au total, ils sont entre une dizaine et une quinzaine engagés dans le laboratoire selon les années.
Même si ses ressources se chiffrent beaucoup plus bas que celles des prestigieuses universités américaines avec lesquelles elle continue de collaborer, Mme Boudoux, qui a aussi passé l’année 2015 comme professeure invitée à l’Université Stanford, conserve néanmoins de
grandes ambitions pour le laboratoire qu’elle dirige. «Je suis hyperintransigeante parce que je viens de ces laboratoires, précise-t-elle. Je pense que, quand tu te désignes chercheur et que tu prétends faire de la recherche, il faut que, dans ce que tu publies, tu sois le meilleur au monde. » Chef de file dans les coupleurs
Mme Boudoux vient de publier Fundamentals
of Biomedical Optics, un livre de référence dans son domaine. Quant au LODI, moins de dix ans après sa création, il se taille une réputation enviable dans le développement de coupleurs, soit des dispositifs qui permettent de réunir différents signaux en une seule fibre optique. Ceux mis au point dans son laboratoire permettent notamment à un système de tomographie par cohérence optique (TCO) de prendre des images à l’intérieur du corps, comme dans l’oesophage ou l’estomac, en captant cent fois plus de photons que ce que permettaient les technologies précédentes. En plus des données visuelles en deux ou en trois dimensions déjà dévoilées par une TCO, cette innovation révèle en plus certaines molécules sous la surface. Une avancée significative pour mieux détecter et caractériser, par exemple, des tumeurs par l’entremise d’une endoscopie.
Cette technologie est désormais vendue par l’entreprise Castor Optics, que Mme Boudoux a cofondée en 2013 avec Nicolas Godbout, professeur au Département de génie physique et responsable du laboratoire de fibres optiques de Polytechnique Montréal. «D’un point de vue médical, ce n’était pas moral de rester assis sur une innovation qui améliore l’imagerie par un facteur de cent», considère-t-elle. À défaut de trouver une entreprise présentant à la fois l’intérêt et les capacités de mener cette commercialisation, les deux chercheurs ont mis sur pied leur propre jeune pousse à l’aide d’une licence d’exploitation sur le brevet détenu par Polyvalor, la société en commandite de valorisation de Polytechnique Montréal. Nouvelles générations de coupleurs
Depuis, de nouveaux coupleurs de la même famille ne cessent d’être développés pour en améliorer l’efficacité. Ils permettent désormais d’analyser une plus grande gamme de longueurs
d’onde et un plus grand spectre de lumière. Le laboratoire tente actuellement de trouver des manières de traiter ces informations de façon à en extirper la couleur. «On est
arrivé [auprès des cliniciens] avec la TCO, triomphant, en disant: “Regardez! Vous voyez sous la surface maintenant.” Mais on leur avait
enlevé la couleur», raconte Mme Boudoux. Un détail loin d’être anodin puisque depuis des décennies, les médecins ont appris à faire des diagnostics à l’aide des couleurs visibles en surface pour déterminer s’il s’agissait d’une infection, d’une inflammation ou d’une tumeur. Malgré la précision des images en noir et blanc offertes avec les nouveaux coupleurs, les médecins venaient de perdre leurs repères.
Mme Boudoux accorde beaucoup d’importance à la pratique clinique. Le laboratoire écoute les besoins soulevés par les professionnels de la santé et oriente les expériences afin d’y répondre. «Si on se rend compte qu’un coupleur n’est pas parfait pour cette application, on retourne à la table à dessin et on recommence.» Coagulation et ablation
Parmi les projets importants sur les rails, le laboratoire tente de développer une technologie qui permettrait que «le laser d’imagerie et d’ablation soit dans le même instrument». Une telle innovation aiderait, par exemple, à traiter sur une corde vocale un papillome, une sorte de verrue, tout en visualisant en temps réel les effets de la puissante chaleur sur la muqueuse. «On travaille sur ce genre d’outil pour ne plus être à l’époque où tu prends un laser, tu “shoot” sur le patient et advienne que pourra », précise Mme Boudoux.
Lors de son doctorat cosupervisé par Polytechnique Montréal et l’Université Harvard, Kathy Beaudette a expérimenté un coupleur et a réussi, à l’aide d’une seule fibre optique, à coaguler au laser de l’eau sur des points très précis à l’intérieur de l’oesophage, tout en filmant la manoeuvre pour observer en temps réel la profondeur de l’opération. Pour coaguler, la température nécessaire ne doit pas être aussi élevée que pour réaliser une ablation. Mais puisque cet usage fonctionne, le laboratoire passe à l’étape suivante.
L’Université Harvard a conçu de son côté un algorithme qui, en calculant le chatoiement généré par la chaleur dans l’image captée par une TCO, arrête une ablation au bon moment avant d’atteindre une profondeur critique. L’étudiant à la maîtrise Raphael Maltais-Tariant, sous la supervision de Mme Boudoux, s’apprête à partir dans les prochains mois à Boston pour tester des coupleurs du LODI avec cet algorithme.
Cet étudiant a atterri au LODI après avoir travaillé un peu moins de deux ans dans l’industrie, notamment sur la stabilisation de laser aux fins de découpage et d’usinage. «Je voulais voir un peu plus de théorie, de physique et me tourner vers les applications dans le secteur de la santé»,
dit-il dans le laboratoire. Parions que le projet qu’il amorce comblera ses attentes.
«Je pense que, quand tu te désignes chercheur et que tu prétends faire de la recherche, il faut que, dans ce que tu publies, tu sois le meilleur au monde»