Les visées de la présidente de l’UQ, Johanne Jean
Après 13 années à la tête de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), Johanne Jean a pris les rênes du Réseau de l’Université du Québec (UQ) en juillet dernier. Après à peine trois mois à ce poste, elle a déjà sur son bureau plusieurs dossi
Vous êtes en poste pour cinq ans. Sur quoi souhaiteriez-vous avoir eu un impact d’ici la fin de votre mandat?
J’aimerais avoir des résultats concernant la hausse du niveau d’éducation des Québécois. Le niveau de scolarité ici demeure en dessous de ce qu’il est dans le reste du Canada. En Ontario, 23% de la population a un diplôme universitaire, contre 20% au Québec. Entre 1999 et 2008, les inscriptions à l’université ont augmenté de 40% chez nos voisins, contre seulement 13% chez nous. Ce sont des chiffres qui doivent être améliorés, et je crois que le réseau de l’Université du Québec peut être un acteur majeur dans ce dossier.
Parce qu’il couvre tout le territoire?
Parce qu’il s’agit d’un réseau de dix établissements qui couvre tout le territoire de la province, oui. Or, on sait que l’enjeu géographique est important. Plus une personne est éloignée d’un établissement universitaire, moins elle a de chance d’en fréquenter un. Prenons un exemple que je connais bien. Lorsque l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue a ouvert ses portes en 1983, seuls 3,6% de la population de cette région avait un diplôme supérieur. Aujourd’hui, c’est 14%. Mais la raison géographique n’est pas la seule. Ça fait partie de la mission de notre réseau de faire en sorte que le Québec soit de mieux en mieux éduqué au fil des ans.
Ce n’est pas celle de tout établissement d’enseignement supérieur?
Il y a un esprit UQ. Le réseau a été créé il y a 50 ans dans l’optique de hausser le niveau de scolarité des francophones au Québec. Mais je pense aujourd’hui tout particulièrement aux peuples autochtones. Nous devons faire mieux pour qu’ils aient un meilleur accès à l’éducation. Collectivement, nous devons développer des outils et déployer des moyens en réponse à leurs besoins. Et encore une fois, le réseau de l’UQ est bien placé pour le faire parce que plusieurs établissements sont présents sur des territoires appartenant aux Premières Nations.
Comment comptez-vous vous y prendre? En tant que rectrice de l’UQAT, vous avez déjà dû y réfléchir…
Il ne faut pas faire pour eux, mais avec eux. Inventer des établissements qu’ils pourraient gérer et qui tiendraient compte de leur culture, de leur identité. Qui seraient à leur image. Le niveau de scolarité des peuples autochtones est aujourd’hui pire que ce qu’il était dans la population francophone il y a 50 ans. Et nous avons affaire à une population plus jeune que la moyenne. Il n’y a pas de fatalité. En établissant quelques ponts, nous parviendrons à renverser la vapeur.
Vous parlez beaucoup de ponts, d’alliances, de réseau. Est-ce ainsi que vous souhaitez travailler?
C’est l’essence même de l’Université du Québec que de travailler en réseau. Par exemple, nos établissements travaillent ensemble à créer des outils permettant la reconnaissance des acquis. Autre chose: lors de la création de l’UQAT, nous n’avons pas réinventé la roue. Nous sommes allés chercher des programmes qui étaient déjà donnés dans d’autres établissements du réseau. Au fur et à mesure, ils se sont adaptés, bien sûr, parce que c’est aussi l’essence de l’UQ que d’offrir des programmes très ancrés dans leur territoire, de mener des travaux de recherche de nature à soutenir le développement local également, et de répondre ainsi aussi aux problèmes de main-d’oeuvre que nous commençons à connaître, mais qui vont aller en s’aggravant.
D’où la nécessité de hausser le niveau de scolarité.
Pour résoudre les problèmes de main-d’oeuvre de demain, nous devons réfléchir aux métiers qui n’existent pas encore, mais dont les entreprises auront besoin dans 5, 10, 15 ans. Et force est de constater que nombreux sont ceux qui demanderont un haut niveau de scolarité. Nous travaillons donc à rendre accessibles la formation et la recherche au plus grand nombre par l’intermédiaire de notre réseau d’universités, mais ça ne suffit pas. Le numérique doit être mieux utilisé pour développer la formation à distance. Nous avons déjà l’Université TELUQ, mais nous pouvons faire mieux.
Sur des sujets aussi complexes que la pénurie de main-d’oeuvre, travaillez-vous aussi avec d’autres acteurs du milieu, au-delà de votre réseau?
Bien sûr! Et je souhaite multiplier ce type d’alliances. Concernant la pénurie de maind’oeuvre, nous travaillons par exemple avec le réseau collégial, car ce sont des acteurs locaux très importants. Concernant les suites du rapport Naylor, qui préconise un meilleur financement de la recherche, nous ne pouvons travailler seuls. Nous sommes également en train de mettre en place un système permettant à tous les étudiants du Québec d’avoir accès à toutes les bibliothèques universitaires de la province. Et puis, il y a des alliances entre programmes également. Au sein de l’UQ, avec d’autres universités québécoises, voire à l’international.
Si on se place du point de vue de l’étudiant maintenant, quel est l’intérêt de ces alliances pour lui ?
Ça lui ouvre plus de portes. Deux professeurs qui travaillent ensemble sur un même programme, par exemple, c’est pour l’étudiant un accès à deux façons de faire, à deux manières de voir les choses, à deux analyses différentes. Donc un accès à un savoir encore plus grand. C’est dans l’ADN de l’université que de confronter les points de vue. On est là pour former les gens, les rendre critiques. Qu’ils soient exposés à toutes sortes d’avis, c’est important pour qu’ils se forgent le leur. Les alliances servent aussi à cela.