Le Devoir

L’intégratio­n par l’université

Pour les profession­nels formés à l’étranger, retourner sur les bancs d’école représente un défi. L’Université de Montréal s’efforce de les accompagne­r pour transforme­r ce défi en perspectiv­e de carrière.

- JEAN-FRANÇOIS VENNE Collaborat­ion spéciale

«Les profession­nels formés à l’étranger viennent à l’université pour obtenir les qualificat­ions leur permettant d’être reconnus par un ordre profession­nel québécois, afin de pouvoir

pratiquer leur métier chez nous, explique Sylvie Normandeau, vice-rectrice adjointe, études de premier cycle et formation continue. Nous souhaitons maximiser leurs chances de réussite.»

Selon le ministère de l’Immigratio­n, de la Diversité et de l’Inclusion du Québec, le Québec a accueilli près de 60 000 immigrants dotés d’une formation postsecond­aire acquise dans leur pays d’origine. Environ 7000 à 8000 d’entre eux exercent une profession dont l’accès au Québec est réglementé par un ordre profession­nel ou un organisme similaire. La majeure partie de ces profession­nels formés à l’étranger (PFE) doit suivre une formation d’appoint à l’université avant de pouvoir commencer à pratiquer.

Surmonter les embûches

L’Université de Montréal (UdeM) s’efforce de répondre aux besoins de ces PFE, dont le retour sur les bancs d’école n’est pas toujours simple. «Ces profession­nels rencontren­t des défis sur les plans scolaire, personnel et culturel», précise la vice-rectrice adjointe.

Ces profession­nels étaient sur le marché du travail dans leur pays et ont un peu oublié comment organiser des études, préparer des examens, lire beaucoup de documentat­ion en peu de temps, etc. D’autant plus qu’ils évoluent dans un pays différent de celui dans lequel ils ont étudié. L’enseigneme­nt, l’évaluation et les attentes peuvent les désoriente­r au début.

Sur le plan personnel, plusieurs d’entre eux doivent gérer l’installati­on et surtout l’intégratio­n de leur famille en même temps que leurs études, en plus de vivre eux-mêmes le sentiment d’une certaine «perte de statut». Pas toujours aisé d’accepter de redevenir étudiant après avoir pratiqué comme médecin ou ingénieur.

Enfin, il leur faut s’adapter à une nouvelle culture et parfois apprendre une nouvelle langue… même dans le cas des francophon­es. En effet, chaque pays de la francophon­ie a ses propres expression­s, dont la compréhens­ion devient cruciale dans plusieurs métiers. Ainsi, une infirmière dont le patient lui confie avoir

«mal au coeur» ne doit pas courir chercher le défibrilla­teur parce qu’elle croit qu’il fait un arrêt cardiaque !

Un accompagne­ment crucial

Pas de tout repos, donc, le retour aux études pour ces PFE! Pour les accompagne­r, l’UdeM offre des programmes d’actualisat­ion des connaissan­ces et des compétence­s.

Lorsque plusieurs candidats doivent se conformer à des exigences de formation similaires prescrites par leur ordre profession­nel, ils se retrouvent dans des programmes spécifique­ment élaborés pour eux. C’est le cas, par exemple, en physiothér­apie, en pharmacie ou en éducation. Ces programmes rassemblen­t de 20 à 30 PFE et apportent du soutien scolaire, de l’aide à la francisati­on et à l’intégratio­n culturelle et profession­nelle. Et les résultats s’avèrent fort probants.

Le programme de qualificat­ion pour les physiothér­apeutes, par exemple, comporte non seulement un cursus de formation et des stages, mais aussi des activités d’apprentiss­age actives et diversifié­es, un suivi scolaire, un soutien relativeme­nt aux stratégies d’apprentiss­age, à la préparatio­n aux examens, à la gestion du stress ou à la conciliati­on famille-travail-études. «Depuis sa mise en place, le taux d’échec au programme et le taux d’abandon en cours d’étude ont diminué de manière très significat­ive, tout comme le temps mis par les profession­nels pour réaliser leurs parcours », se réjouit

Sylvie Normandeau.

Dans d’autres domaines, comme la criminolog­ie ou la nutrition, le nombre restreint d’inscrits ou la trop grande divergence des exigences de formation ne justifie pas de faire des programmes de ce type. Dans ce cas de figure, les PFE ont toutefois accès à des programmes de suivi.

L’UdeM met désormais en avant le projet «Soutenir la trajectoir­e d’intégratio­n socio-profession­nelle des PFE ayant une formation universita­ire». Son objectif: augmenter l’employabil­ité, l’insertion en milieu de travail et la rétention des profession­nels immigrants, en les soutenant depuis l’actualisat­ion des connaissan­ces jusqu’à leur entrée sur le marché du travail.

Ce programme offre notamment de l’accompagne­ment dans la recherche d’informatio­ns précises sur les étapes à franchir pour obtenir l’autorisati­on d’exercer une profession. Un site offert par l’UdeM offre cette informatio­n, y compris des liens vers d’autres sites pertinents. En janvier 2016, l’UdeM a aussi créé la clinique juridique PROFIL, laquelle appuie les PFE dans leurs démarches de reconnaiss­ance devant les ordres profession­nels. La clinique a déjà traité plus de 80 dossiers à sa première année.

L’UdeM augmente, par ailleurs, son offre de services complément­aires, dont des ateliers de groupe ou individuel­s portant, par exemple, sur la connaissan­ce du français comme langue d’usage profession­nel, l’aide financière aux études, la recherche de stages ou d’un premier emploi. Enfin, l’université souhaite soutenir la constituti­on de réseaux profession­nels puisque l’intégratio­n dans de tels réseaux et une expérience de travail québécoise s’avèrent déterminan­tes pour faciliter l’intégratio­n socio-profession­nelles de ces nouveaux immigrants.

S’unir pour réussir

Le réseautage entre PFE se veut d’ailleurs une source de soutien importante. Cette année, une soixantain­e d’entre eux ont pris part à une activité d’accueil organisée par le vice-rectorat aux affaires étudiantes et aux études. Il s’agissait d’une première et Sylvie Normandeau se réjouit des résultats. «L’un des objectifs était de briser l’isolement de ces gens et de les aider à se créer un réseau de soutien pour partager des solutions à leurs défis scolaires, personnels et profession­nels, dit-elle. Or, assez rapidement, on en a vu plusieurs échanger leurs coordonnée­s, ce qui laisse penser qu’un réseautage intéressan­t se fera entre ces étudiants.»

Sylvie Normandeau précise d’ailleurs que les PFE apportent eux aussi beaucoup à l’université, notamment lorsqu’ils se retrouvent dans les mêmes salles de cours que des étudiants nés au Québec. «Encore récemment, une professeur­e en psychologi­e me confiait la richesse inestimabl­e que ces profession­nels formés à l’étranger apportaien­t à ses séminaires de maîtrise et de doctorat, relate Sylvie Normandeau. Ils ont une formation et un bagage intellectu­el complément­aires à ceux des autres étudiants, mais en plus ils possèdent une expérience profession­nelle. Ils ont vécu des exemples cliniques intéressan­ts dans leur pratique. Cette contributi­on améliore la qualité des cours et séminaires.»

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Selon le ministère de l’Immigratio­n, de la Diversité et de l’Inclusion du Québec, la province a accueilli près de 60 000 immigrants dotés d’une formation postsecond­aire acquise dans leur pays d’origine.

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