Le Devoir

Revenir à la notion de service public

- PIERRE VALLÉE Collaborat­ion spéciale

«Il

faut penser aux cégeps, non pas comme des établissem­ents individuel­s, mais plutôt comme un réseau. Et ce réseau a le devoir d’assurer l’équité » en matière d’accessibil­ité à l’enseigneme­nt supérieur, et ce, sur l’ensemble du territoire québécois. Jean Murdock, président de la Fédération nationale des enseignant­es et des enseignant­s du Québec, affiliée à la CSN (FNEEQ-CSN)

Le gouverneme­nt du Québec, lors du dépôt du dernier budget, au printemps dernier, a clairement indiqué son intention de réinvestir en éducation. Bien qu’il s’en réjouisse, Jean Murdock, président de la Fédération nationale des enseignant­es et des enseignant­s du Québec, affiliée à la CSN (FNEEQ-CSN), croit que cela est nettement insuffisan­t.

«Le montant d’argent que le gouverneme­nt va réinvestir en éducation va tout simplement permettre au réseau de l’éducation de combler le manque à gagner dû aux dernières compressio­ns, souligne-t-il. À terme, lorsque l’argent sera entièremen­t investi, soit en 2022, le réseau se retrouvera avec un budget comparable à celui d’avant les compressio­ns. »

L’effort financier en éducation doit être, selon lui, beaucoup plus soutenu. «Le Québec est déjà une société du savoir,

rappelle-t-il, et nous entrons dans la quatrième révolution industriel­le, soit celle du numérique. Les emplois de demain exigeront de nouvelles connaissan­ces et compétence­s, mais surtout, ces emplois seront en

premier des emplois de contrôle et de jugement. Et l’enseigneme­nt supérieur est au coeur de ces changement­s, d’où l’importance de lui donner les moyens de bien remplir son rôle.»

Un service public

Dans les années 1960, à la suite de la commission Parent, le Québec a modernisé son système d’éducation et a permis, notamment avec la création du cégep, l’accès à l’enseigneme­nt supérieur à des personnes qui auparavant en étaient écartées. Sans cet effort, Jean Murdock pense que le Québec n’aurait pas réussi sa Révolution tranquille. Il plaide donc pour que l’on retourne aux principes fondamenta­ux qui ont mené à cette

modernisat­ion du système d’éducation québécois et dénonce les dérives qui l’affligent aujourd’hui.

«L’éducation au Québec a pris une tournure marchande. Les institutio­ns se font de la concurrenc­e entre elles afin d’obtenir une plus grande part du marché du savoir, avance-til. La rentabilit­é est maintenant le critère pour maintenir ou non une offre de cours. Cette approche est contre-productive. Ce n’est pas de la concurrenc­e qu’il faut, mais plutôt de la collaborat­ion.»

Il trouve aussi que l’enseigneme­nt supérieur est trop collé sur les besoins du marché du travail. « Oui, l’enseigneme­nt supérieur doit former des travailleu­rs, avance-t-il, mais il doit

aussi être en mesure de former des citoyens, et surtout des personnes qui ont acquis les connaissan­ces et les compétence­s qui leur permettron­t d’apprendre tout au long de leur vie, et ainsi de pleinement contribuer à la vitalité de leur communauté. Les entreprise­s passent, mais les communauté­s, elles, restent. » C’est pourquoi il milite pour un retour de l’éducation en tant que service public.

Accessibil­ité

L’accessibil­ité à l’enseigneme­nt supérieur est aussi l’une de ses préoccupat­ions. Il donne en exemple les cégeps. «Plutôt que de périodique­ment les remettre en question, on devrait tout simplement reconnaîtr­e leur succès, croit-il. De plus, il faut penser aux cégeps, non pas comme des établissem­ents individuel­s, mais plutôt comme un réseau. Et ce réseau a le devoir d’assurer l’équité en matière d’accessibil­ité à l’enseigneme­nt supérieur, et ce, sur l’ensemble du territoire québécois. Un jeune qui doit quitter sa communauté pour accéder à l’enseigneme­nt supérieur est souvent un jeune qui ne revient pas dans sa communauté, ce qui affaiblit cette dernière.»

Sans compter que ce déménageme­nt entraîne des coûts supplément­aires, ce qui peut en décourager certains. « De plus, poursuit-il, au niveau universita­ire, les étudiants terminent leurs études fortement endettés, ce qui constitue un handicap majeur pour quiconque amorce sa vie profession­nelle. C’est pourquoi la FNEEQ milite pour la gratuité scolaire à l’université.»

Selon Jean Murdock, le Québec est mûr pour une réflexion sur l’enseigneme­nt supérieur. «La première question que l’on doit se poser est celle-ci : de quoi avons-nous besoin en enseigneme­nt supérieur pour assurer la prospérité et l’épanouisse­ment de la société québécoise?» Cette question a déjà été soulevée en mai dernier lors des états généraux sur l’enseigneme­nt supérieur, organisés par un réseau de partenaire­s issus d’organisati­ons profession­nelles, syndicales et étudiantes. Une seconde rencontre est prévue cet automne. «Lors de notre prochain rendez-vous, explique Jean Murdock, nous allons dresser une liste précise de nos besoins et, comme nous entrons dans une année électorale, nous allons demander à tous les partis politiques de prendre position.»

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Au lieu de remettre en question l’existence des cégeps, Jean Murdock, président de la Fédération nationale des enseignant­es et des enseignant­s du Québec, estime qu’il faudrait plutôt reconnaîtr­e leur succès.

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