Le Devoir

Vive tension en Catalogne

Madrid hausse le ton alors que la région pourrait déclarer unilatéral­ement son indépendan­ce mardi

- CHRISTIAN RIOUX à Barcelone

Àmoins de 24 heures de ce qui pourrait être une déclaratio­n d’indépendan­ce de la Catalogne, la tension était à son comble lundi à Barcelone. Après le déferlemen­t dimanche dans la capitale catalane de milliers d’Espagnols venus défendre coûte que coûte l’unité de l’Espagne, le ton est monté d’un cran à Madrid où l’on évoque ouvertemen­t l’emprisonne­ment du président catalan, comme le réclamaien­t massivemen­t les manifestan­ts dimanche.

Face aux demandes de médiation lancées par le chef du gouverneme­nt catalan depuis une semaine, Pablo Casado, vice-président aux communicat­ions du Parti populaire au pouvoir à Madrid, a répondu que «la seule personne avec laquelle Carles Puigdemont devrait dialoguer, c’est son avocat». Devant la possibilit­é que le président catalan fasse une déclaratio­n d’indépendan­ce mardi, ce porte-parole du parti conservate­ur affirme que Madrid «prendra tous les moyens pour empêcher l’indépendan­ce»

et qu’elle «fera tout ce qui est nécessaire sans renoncer à aucun instrument de la constituti­on ni du Code pénal».

« L’histoire ne se répétera pas, sinon lui aussi [Puigdemont] finira comme Companys», a-t-il ajouté. Or, Lluís Companys est le dirigeant qui avait proclamé la république catalane en 1934 avant d’être emprisonné puis fusillé par les troupes du dictateur Franco. Casado a aussitôt été obligé de préciser qu’en évoquant Companys, il ne pensait pas à son exécution, mais à sa détention. Et le porte-parole de rappeler que le Code pénal espagnol punit la « sédition » de 15 ans de prison et la « rébellion » de 25 ans.

Ambiance sur voltée

C’est dans cette ambiance survoltée, accompagné­e de l’annonce du déménageme­nt de nouveaux sièges sociaux, que les pressions sur les épaules de Puigdemont se sont multipliée­s ces dernières heures.

D’un côté, les partisans d’une déclaratio­n unilatéral­e, comme le parti d’extrême gauche CUP, disent ne pas vouloir en démordre. Le président de la grande organisati­on nationalis­te l’Assemblée nationale catalane (ANC), Jordi Sanchez, a d’ailleurs convoqué une manifestat­ion devant le parlement mardi. Selon lui, Madrid «a tiré ses dernières cartouches en forçant le déménageme­nt hors de Catalogne des sièges sociaux de grandes entreprise­s afin d’intimider les Catalans». Par sa déterminat­ion et son attitude pacifique, dit-il, le peuple catalan a gagné la reconnaiss­ance de l’opinion publique internatio­nale. En prévision de cette manifestat­ion, les policiers catalans se préparaien­t à barricader le parc de la Citadelle où est situé le parlement.

De l’autre côté, on trouve les élus plus modérés des deux grands partis nationalis­tes, le Parti démocrate de Catalogne (PDCat) et Esquerra Republican­a (ERC). Depuis plusieurs jours, les appels du pied se sont multipliés afin de transforme­r cette déclaratio­n d’indépendan­ce, censée être automatiqu­e selon la loi en cas de victoire du Oui, en une déclaratio­n symbolique « sur » l’indépendan­ce, comme l’écrit la journalist­e Lola Garcia dans La Vanguardia.

Une déclaratio­n symbolique ?

La presse de Barcelone estime que la décision de plusieurs grandes entreprise­s catalanes de transférer leur siège social hors de Catalogne a fortement ébranlé le gouverneme­nt catalan. Dimanche, Puigdemont a d’ailleurs rencontré d’urgence le président de l’influent Cercle économique, Juan José Brugera, qui regroupe les principale­s entreprise­s catalanes. C’est pourquoi à Barcelone de nombreux observateu­rs estimaient que, parmi toutes les hypothèses envisagées, Carles Puigdemont pourrait proclamer de manière symbolique l’indépendan­ce mais en suspendre l’applicatio­n.

C’est la thèse que défendait mardi, sur la radio basque Onda Vacsa, le député catalan Ramon Tremosa, qui appartient au même parti que Puigdemont (PDCat). S’inspirant pour cela du modèle slovène, il affirmait que le processus est « arrivé à son terme», mais que la Catalogne devrait s’accorder un délai de six mois avant de mettre en applicatio­n sa déclaratio­n d’indépendan­ce. En 1990, la Slovénie avait proposé une négociatio­n à Belgrade qui était demeurée sans réponse. Elle avait alors organisé elle-même un référendum et décrété l’indépendan­ce six mois plus tard.

Selon Tremosa, la Catalogne pourrait utiliser les six mois qui viennent pour négocier l’organisati­on avec Madrid d’un référendum en bonne et due forme dont les résultats ne pourraient être contestés. Notons qu’à la différence de la Catalogne, en 1990, la Slovénie était déjà virtuellem­ent indépendan­te puisqu’elle avait déjà pris le contrôle des casernes militaires et qu’elle contrôlait ses frontières. Elle avait aussi des appuis à l’étranger, notamment en Allemagne. Ce qui n’est pas le cas de la Catalogne.

La déclaratio­n du député catalan fait écho à celle de l’ancien président Artur Mas qui avait affirmé la semaine dernière qu’aucune déclaratio­n ne pourrait être suivie d’une «indépendan­ce réelle» dans la mesure où la Catalogne ne contrôlait ni son territoire ni les compétence­s nécessaire­s à l’indépendan­ce.

Pour la mairesse de Barcelone, Ada Colau, les résultats du référendum du 1er octobre, auquel n’ont participé que 42% des Catalans, ne permettent pas de proclamer l’indépendan­ce, mais avertissen­t Rajoy de «ne pas dynamiter le dialogue». Après le refus catégoriqu­e de l’Union européenne, les nationalis­tes misent notamment sur un groupe de médiateurs créé à l’initiative du barreau catalan. Hasard du calendrier, jeudi, les Espagnols célébreron­t leur fête nationale.

 ?? EMILIO MORENATTI ASSOCIATED PRESS ?? «Prou! Recuperem el seny!» («Assez! Retrouvons la raison!»), ont clamé dimanche les opposants à la sécession. Selon les organisate­urs, ils étaient près d’un million et selon la police municipale, 350 000, dans les rues de Barcelone.
EMILIO MORENATTI ASSOCIATED PRESS «Prou! Recuperem el seny!» («Assez! Retrouvons la raison!»), ont clamé dimanche les opposants à la sécession. Selon les organisate­urs, ils étaient près d’un million et selon la police municipale, 350 000, dans les rues de Barcelone.

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