Le Devoir

La création d’un poste d’ombudsman se fait toujours attendre

- SARAH R. CHAMPAGNE

Il y a déjà 10 ans que la propositio­n traîne sur la table à dessin. C’était une promesse électorale des libéraux de Justin Trudeau et sa création devait être «imminente». Un groupe de travail des Nations unies réitérait d’ailleurs en juin dernier que le temps était venu d’agir.

La société civile exhorte le gouverneme­nt à créer un poste d’ombudsman pour le secteur extractif. L’idée est également soutenue par les principaux représenta­nts de l’industrie minière, a constaté Le Devoir.

Diverses organisati­ons au pays dénoncent le retard «indécent» du Canada en matière de responsabi­lité des entreprise­s à l’étranger. Alors que de nombreux pays européens ont adopté des législatio­ns nationales plus larges sur la responsabi­lité des entreprise­s multinatio­nales, les mécanismes au pays sont «complèteme­nt inefficace­s», affirme Geneviève Paul, chargée de projet pour Above Ground, une ONG qui a notamment pour mission de donner aux travailleu­rs étrangers l’accès aux tribunaux canadiens.

L’organisati­on reçoit des centaines de demandes chaque année de défenseurs des droits de l’homme ou de travailleu­rs qui allèguent avoir subi des violations aux mains de compagnies canadienne­s à l’étranger ou de leurs sous-traitants.

Le secteur minier est plus particuliè­rement dans leur mire: plus de la moitié des compagnies minières mondiales sont enregistré­es au Canada, comptant pour environ 7% du PIB national. L’an dernier, le rapport La marque Canada rapportait que les violences liées aux opérations minières canadienne­s en Amérique latine avaient fait au moins 44 morts dans cette

région, dont 30 dans le cadre d’attaques ciblées.

«La création d’un ombudsman pour le secteur extractif, c’est le minimum que le Canada peut faire. C’est un premier pas pour s’engager, même si nous réclamons un cadre beaucoup plus grand», souligne Mme Paul.

Une cinquantai­ne d’organismes et de syndicats regroupés dans le Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprise­s (RCRCE) a dévoilé un modèle législatif détaillé en novembre 2016, un projet « sur un plateau d’argent », selon la responsabl­e chez Above Ground.

Le maintien du statu quo est maintenant injustifia­ble, ajoute Emily Dwyer, coordonnat­rice du RCRCE. Elle pointe en outre le fossé entre le discours et les actes du gouverneme­nt: «On a entendu des engagement­s à faire de grands changement­s. Mais il n’y a toujours aucun changement. »

Pierre Gratton, p.-d.g. de l’Associatio­n minière du Canada (AMC), insiste quant à lui sur le fait que les plaintes concernant les minières canadienne­s ont diminué ces dernières années. Il détaille néanmoins la propositio­n de l’industrie pour créer un poste d’ombudsman, en plus de suggérer la mise sur pied d’un comité multisecto­riel pour la protection des droits de l’homme à l’étranger.

«Oui, nous sommes prêts à discuter. Je suis convaincu que nous avons plus en commun que nous avons de différence­s», abonde Andrew Cheatle, directeur général de l’Associatio­n canadienne des prospecteu­rs et entreprene­urs (ACPE).

Réponses évasives

Un plan visant cet objectif devait être mis en place en mars 2017, avait affirmé le député libéral fédéral John McKay dans une entrevue au Hill Times. Joint au téléphone, il répète que l’ombudsman figure à l’ordre du jour du gouverneme­nt. «Nous ne sommes pas aussi avancés que j’aimerais l’être », admet-il. Le député attribue ces délais à la transition au poste de ministre du Commerce internatio­nal, occupé depuis janvier 2017 par François-Philippe Champagne.

La « polarisati­on » entre les opinions a plutôt été avancée pour justifier le retard par le ministère des Affaires étrangères, lors d’un symposium sur la question de la responsabi­lité des entreprise­s dans le respect des droits de l’homme.

L’AMC explique souhaiter un mécanisme d’enquête mixte. Dans ce modèle de «joint fact finding», le plaignant et la compagnie visée devraient au préalable s’entendre sur les faits et la manière de les examiner. L’ombudsman préconisé par le RCRCE pourrait plutôt être saisi par une personne, une organisati­on ou un groupe, à n’importe quel moment. Ses rapports seraient publics, et pourraient inclure des recommanda­tions spécifique­s sur les réparation­s des préjudices.

Des divergence­s «qu’il reste tout à fait possible de surmonter », insiste Geneviève Paul. Elle cite à ce titre l’adoption de la loi sur les mesures de transparen­ce dans le secteur extractif, résultat d’un groupe de travail incluant des représenta­nts de l’industrie et des ONG. Les sociétés minières canadienne­s sont tenues depuis juin 2015 de divulguer publiqueme­nt le montant des paiements remis aux gouverneme­nts étrangers.

Les mécanismes actuels manquent d’indépendan­ce et restent des chiens de garde sans mordant, selon Mme Paul. Une seule compagnie a été sanctionné­e après un examen par le «Point de contact national», chargé de promouvoir les principes de responsabi­lité des entreprise­s. Le gouverneme­nt canadien a le pouvoir, depuis 2014, de suspendre son soutien commercial dans les marchés étrangers, écrit la politique nationale.

Quant à l’accès à la justice, il reste hautement coûteux et rare. Pour la première fois en janvier dernier, un groupe de Guatémaltè­ques a obtenu que la Cour d’appel de la Colombie-Britanniqu­e se penche sur leurs accusation­s contre Tahoe Resources. Les cours canadienne­s statuent généraleme­nt qu’elles constituen­t les juridictio­ns appropriée­s pour des faits survenus ailleurs.

 ?? INTI OCON AGENCE FRANCE-PRESSE ??
INTI OCON AGENCE FRANCE-PRESSE

Newspapers in French

Newspapers from Canada