Le mouvement zéro déchet gagne les produits hygiéniques et cosmétiques
Le mouvement zéro déchet a le vent en poupe. Après avoir fait une percée dans les cuisines, notamment avec l’ouverture d’épiceries en vrac, il s’invite maintenant dans la salle de bain. Dentifrices, crèmes, shampoings et autres cosmétiques maison permettent d’économiser tout en minimisant son empreinte écologique. Une tendance qui fait de plus en plus d’adeptes.
Debout derrière son comptoir de cuisine, Mariane Gaudreau mélange soigneusement du marc de café, du sucre et de l’huile de coco dans un petit contenant en verre. Ce sont les trois ingrédients dont elle a besoin pour confectionner son soin exfoliant maison.
Mariane est une des fondatrices du site Les Trappeuses, «un blogue grano, sans être hippie», nous prévient-on, lorsqu’on y fait une visite. Les collaboratrices y partagent notamment leurs recettes de produits de beauté maison, à réaliser dans le confort de la cuisine.
« Ça, c’est un démaquillant, parce que je ne peux pas vivre sans mascara», explique avec un petit rire la jeune femme, en prenant dans ses mains un flacon rempli à moitié d’huile végétale et à moitié d’hydrolat, une eau de distillation extraite de plante.
Sur la table devant elle se trouvent aussi un déodorant liquide «hypermiraculeux», un shampoing sec «tellement niaiseux à faire» et une lotion tonique au vinaigre de cidre de pomme et aux pétales de rose, aux propriétés astringentes et calmantes.
Chimistes en herbe
À l’écouter expliquer la composition d’une crème, qui, contrairement à un beurre corporel, est formée par l’émulsion d’une phase aqueuse et d’une phase huileuse, on réalise que la confection de produits d’hygiène corporelle relève de la chimie. «Oui, vraiment!» atteste Mariane. Mais ce n’est pas compliqué pour autant, assure-t-elle.
Comment la jeune femme s’est-elle transformée en chimiste en herbe? «Tout a commencé avec un déodorant, raconte-t-elle attablée dans la cuisine de son appartement montréalais. Les ingrédients étaient tellement simples, je les avais tous déjà chez moi. Fécule de maïs, bicarbonate de soude,
huile de coco et huile essentielle, énumère-t-elle. Ça m’a pris 20 secondes à faire, et le produit fonctionnait super bien.»
Petit à petit, la blogueuse a changé ses habitudes de consommation, motivée par son souci pour l’environnement et pour sa propre santé. «À cette époque, j’avais un peu perdu le contrôle de ma peau. Elle était toujours trop sèche ou trop grasse. J’alternais les produits pour trouver un équilibre, puis je me suis rendu compte qu’en me lavant simplement avec de l’eau, ça allait mieux. J’avais agressé ma peau avec toutes sortes de produits.»
Avec quelques ingrédients naturels de base, elle se porte désormais mieux, assure-t-elle, dénonçant au passage la surabondance de produits cosmétiques vendus dans les grandes surfaces. «C’est épouvantable ce qu’on se fait vendre. Et la femme est la principale cible de ces produits, parce qu’on nous fait croire qu’on a besoin de tout ça pour être belle.»
Le contenu des contenants
Réduire sa consommation de produits d’hygiène corporelle est le premier conseil que prodigue l’analyste pour la Fondation David Suzuki Lisa Gue, qui s’intéresse aux impacts des cosmétiques sur l’environnement. «On en utilise souvent plus que nécessaire», souligne-t-elle.
Un ingrédient sur huit dans les produits vendus en pharmacie est une substance chimique industrielle, rapporte la Fondation,
qui a publié un guide de consommation à cet effet. Certaines de ces composantes peuvent être nocives pour l’environnement (voir encadré).
Santé Canada ne considère pas qu’elles causent un risque pour la santé, car elles se trouvent en très petite quantité dans les produits, explique Mme Gue. «Mais ça ne prend pas en compte leurs effets cumulatifs dans l’environnement. Toutes ces petites doses s’additionnent.»
Ces substances ne sont par ailleurs pas essentielles à une bonne hygiène, soutient la spécialiste, mentionnant l’ironie du fait que des produits conçus pour nous rendre propres aient l’effet inverse sur la planète. Une vision partagée par les ferventes du «DIY» (do it yourself, ou fais-le toimême).
Popularité grandissante
L’engouement pour le zéro déchet ne tarit pas. Depuis deux ans, une autre adepte du mouvement, Florence-Léa Siry, constate un boom. « Les gens cherchent des solutions pour améliorer leur consommation», dit celle qui est une des 11 cofondatrices du premier Festival Zéro Déchet de Montréal, qui se tiendra en fin de semaine prochaine (voir encadré).
À force de partager des recettes maison avec leurs proches, le projet des Trappeuses a pris forme chez Mariane Gaudreau et ses comparses. Fondé en 2014, le blogue a été un succès instantané. «La journée où on l’a lancé, on regardait le nombre de mentions “j’aime” sur Facebook: ça n’arrêtait pas de monter!» se souvient-elle, encore étonnée.
Avec tout près de 20 000 abonnés au moment d’écrire ces lignes, la popularité des
Trappeuses ne dérougit pas. En plus de partager leurs recettes et conseils écolos, les filles animent des ateliers et des conférences. «On aimerait en faire beaucoup plus», explique Mariane, précisant que le tout se fait de façon bénévole.
Valoriser les petits gestes
«Certaines personnes fabriquent leur propre dentifrice, moi, je préfère ceux du commerce qui sont naturels. Le dentifrice “DIY” de base n’est pas aussi intéressant en bouche», soutient Mariane.
Pour sa part, Florence-Léa Siry ne supporte pas le bambou mouillé des brosses à dents écologiques. « J’accepte que ce ne soit pas ça, mais autre chose. Il ne faut pas vouloir atteindre la perfection, ce n’est pas un concours de performance», souligne-t-elle.
Voilà la philosophie défendue par ces adeptes du zéro déchet et du «DIY». Mariane Gaudreau dit recevoir parfois des commentaires négatifs, du genre «tu fabriques ceci et cela, mais tu as une voiture». «Ben oui, on n’est pas parfaites! Mais au moins, les petits gestes que je fais comptent, et si on est plusieurs à les faire, ça s’accumule», dit-elle.
Par ailleurs, afin d’éviter de se faire taxer de «granos», Les Trappeuses ont choisi de se réapproprier ce terme en se définissant comme « grano-écochic ». «Le mot grano a tellement été utilisé de façon péjorative, comme si toute personne qui fabrique son déodorant naturel devait se promener pieds nus ! lance-t-elle dans un rire. Au contraire, on montre qu’il n’y a rien de plus normal que de fabriquer ses produits. »