Le Devoir

Le gros et le petit.

Une chronique de François Brousseau sur le conflit catalan comme choc des nationalis­mes.

- François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Radio-Canada. francobrou­sso@hotmail.com FRANÇOIS BROUSSEAU

Le nationalis­me catalan n’est pas un adversaire politique avec lequel on peut débattre et trouver un compromis. C’est une bête immonde qu’il faut écraser. Tel est le message rendu par le discours le plus applaudi, celui de Mario Vargas Llosa, dimanche à Barcelone lors de l’impression­nante manifestat­ion, au coeur de la capitale catalane, en faveur de l’unité de l’Espagne.

Un rassemblem­ent de 350 000 personnes, venues de Catalogne, mais aussi du reste de l’Espagne, pour dire aux indépendan­tistes: « Assez, c’est assez!»

On était loin du love-in mielleux et hypocrite du 27 octobre 1995 à Montréal, lorsque des milliers de manifestan­ts canadiens avaient imploré les Québécois de voter «non». En plus, la manif d’avant-hier avait lieu après une consultati­on considérée illégitime, et non pas avant un référendum, à l’époque accepté (ou toléré), et auquel les partisans du «non» avaient pleinement participé.

Au moins Vargas Llosa a-t-il le mérite de la clarté, lorsqu’il dit à la foule: «La passion peut être destructri­ce et féroce quand l’animent le fanatisme et le racisme. La pire de toutes […], c’est la passion nationalis­te. » Il faut absolument stopper, a-t-il dit, les « fanatiques » et leur «conjuratio­n qui veut réduire [l’Espagne] à un pays du tiers-monde».

Tels étaient les mots du grand écrivain de La ville et les chiens et de La fête au bouc. La virulence («passion destructri­ce et féroce»; « conjuratio­n », « fanatisme », « racisme ») avec laquelle ce littéraire doublé d’un essayiste et militant politique s’en est pris au nationalis­me catalan explique peut-être pourquoi ce Prix Nobel a moins bien réussi en politique qu’en littératur­e.

On sait à quel point le mot «nationalis­me» est négativeme­nt connoté en Europe, alors que — en tout cas, jusqu’à récemment — il ne l’était pas ici. Ici, on peut concevoir une telle chose qu’un nationalis­me modéré, facteur de progrès: Québec, années 1960 et après; Catalogne, années 1980 et après…

Mais l’ironie, c’est que, tout en fustigeant le nationalis­me avec une violence verbale jamais atteinte par un Trudeau père, Vargas Llosa avait devant lui une foule qui s’étranglait en chantant «¡Y viva España!», s’enroulait dans le drapeau espagnol et scandait « Puigdemont en prison!»

Vargas Llosa n’est pas seul: le gouverneme­nt de Madrid, dont on connaît la ligne dure qui réduit un conflit politique à une affaire de tribunaux et de police, et même un journal réputé centriste et équilibré comme El Pais sont exactement de la même eau.

Extrait de l’éditorial triomphant, lundi, dans El Pais : «Pendant des décennies, le nationalis­me catalan a construit un monopole idéologiqu­e, asphyxié le pluralisme. Dimanche, cette hégémonie, basée sur le contrôle de la rue, des institutio­ns politiques, de la société civile, s’est effondrée avec fracas. L’indépendan­ce, déjà hors-la-loi, a aussi perdu toute légitimité.»

Absence de pluralisme? Monolithiq­ue, Barcelone, cette métropole cosmopolit­e? On pourrait faire remarquer aux éditoriali­stes de El Pais qu’en Catalogne même, des journaux très lus, publiés à Barcelone et en catalan, comme La Vanguardia et El Periódico de Catalunya, sont opposés à l’indépendan­ce et ne se gênent pas de l’écrire régulièrem­ent.

Ce qu’on a vu dimanche dans les rues de Barcelone, c’est l’existence incontesta­ble d’une «autre» Catalogne, dont l’allégeance première va à Madrid.

Cette manifestat­ion montre — mais on le savait — que la Catalogne est divisée, que les indépendan­tistes n’ont pas le monopole de la légitimité, et que le résultat du référendum (9010, selon les suffrages exprimés) ne reflétait pas l’état global, réel de l’opinion catalane, puisque les «non» ont boycotté l’exercice pour le discrédite­r, et que la police a terminé le travail en bloquant l’accès à de nombreux bureaux de vote.

Nationalis­me contre nationalis­me: celui du gros, qui va de soi, contre celui du petit, dont on doit se méfier. Le non-dit de toute cette histoire, ce n’est pas que le nationalis­me catalan est sujet à la critique (comme le sont tous les nationalis­mes). C’est que le nationalis­me dominateur, légitime et en quelque sorte invisible parce qu’il s’incarne déjà dans un État souverain reconnu, on n’en parle jamais.

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