On saute les étapes
Le premier ministre Justin Trudeau a pris ses homologues provinciaux par surprise, la semaine dernière, en proposant une taxe d’accise d’au moins 1$ par gramme de marijuana. Un chiffre arbitraire qui ne tient pas compte du prix de vente le plus approprié pour atteindre les objectifs de son projet de légalisation. Projet qui ne visait pas, rappelons-le, à regarnir les coffres des gouvernements.
Depuis le début, le gouvernement libéral soutient que la légalisation du cannabis a pour fins, entre autres choses, de mettre fin au marché illicite de ce produit et de décourager la consommation chez les jeunes. Pour y parvenir, il a présenté un projet de loi avec sanctions à la clé et mis les provinces à contribution pour encadrer la distribution et la vente. Un élément capital peut cependant contrecarrer leurs efforts: le prix. Dans son rapport de décembre 2016, le comité consultatif présidé par l’ancienne ministre Anne McLellan donnait comme avertissement qu’un prix légal trop élevé inciterait des consommateurs à continuer à s’approvisionner auprès du marché noir. En revanche, un prix légal trop bas ne découragerait pas la consommation chez les jeunes.
«Le gouvernement fédéral, en coordination avec ses homologues provinciaux et territoriaux, devrait mener les analyses économiques nécessaires afin de déterminer un niveau d’imposition permettant d’atteindre l’équilibre entre les objectifs de santé publique et la réduction du marché illicite », recommandait le comité.
Selon un rapport sur le sujet publié en novembre 2016 par le directeur parlementaire du budget (DPB), le prix moyen d’un gramme de cannabis acheté sur le marché noir était de 8,32 $ au Canada en 2015-2016. Au Québec, il était de 7,31 $.
Aucune province n’a encore déterminé le prix idéal pour atteindre l’équilibre recherché. Un calcul difficile, car, a averti le DPB, le prix légal initial, avant taxes, risque fort d’être plus élevé que celui du marché noir, car l’approvisionnement licite pourrait être insuffisant au départ.
Envisager l’imposition d’une taxe d’accise fédérale de 1$ sur tout gramme vendu 10$ ou moins et de 10% sur tout gramme vendu à un prix supérieur équivaut à mettre la charrue devant les boeufs. Ce l’est d’autant plus que cette taxe s’ajouterait à la TPS et la TVQ.
Dès le lendemain de la rencontre des premiers ministres, le DPB, Jean-Denis Fréchette, a rappelé qu’au moment de la légalisation, «le gouvernement pourrait disposer de peu de marge de manoeuvre financière pour imposer une taxe, tout en évitant que le prix du cannabis légal dépasse celui du cannabis sur le marché illicite. Même si seule une taxe de vente est imposée, le prix du cannabis légal en 2018 sera probablement aussi élevé que celui observé sur le marché illicite en 2015-2016. Les taxes d’accise feront probablement en sorte que le prix du cannabis légal soit supérieur à celui observé sur le marché illicite en 2015-2016».
Bref, avec sa proposition de taxe d’accise, M. Trudeau complique les calculs, même s’il promet d’en partager la moitié avec les provinces. Elles en veulent plus, mais avant de se diviser la cagnotte et de rêver de nouvelles taxes, les gouvernements devraient modérer leur appétit et faire les analyses demandées avec une chose en tête, les objectifs poursuivis. Sinon, ils frapperont un mur.