Le Devoir

Sortie de secours

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Après son pas de recul qui a suivi la déconfitur­e de son parti dans Louis-Hébert, voilà que Philippe Couillard persiste et signe: il n’est pas question de saborder la Commission sur la discrimina­tion systémique et le racisme (CDSR), a-t-il fait savoir à l’Assemblée nationale. Les consultati­ons auront lieu, mais dans un format écourté, axé sur «des résultats concrets», le gouverneme­nt souhaitant en finir avant Noël.

Les membres de la Table de concertati­on contre le racisme systémique ont raison de dire que le premier ministre s’ingère dans la consultati­on chapeautée par la ministre de l’Immigratio­n, de la Diversité et de l’Inclusion, Kathleen Weil, et confiée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. C’est que la consultati­on est devenue un enjeu politique que Philippe Couillard, à un an des élections générales, ne peut ignorer.

Il faut dire que dès le départ, la CDSR, contrairem­ent à un exercice semblable mené de façon consensuel­le en Ontario, a soulevé la suspicion de deux des trois partis d’opposition. Au Parti québécois et à la Coalition avenir Québec, on est persuadé que les libéraux veulent instrument­aliser la commission pour se poser en parangon de la vertu multicultu­relle et taxer leurs adversaire­s d’intoléranc­e.

Le nom même de la commission, propre au langage juridique et académique, attribue au racisme un caractère systémique, ce qui a amené certains à croire, ou à feindre de croire que ce qu’on affirme, c’est que les Québécois sont systématiq­uement racistes. La commission est là pour faire le procès des Québécois, ont martelé péquistes et caquistes.

Or, ce procès, ça fait des années qu’il dure. Depuis ce qu’il a été convenu d’appeler la crise des accommodem­ents raisonnabl­es au début de 2007, crise que la commission Bouchard-Taylor a analysée en profondeur. Depuis que le PQ, avec sa charte des valeurs prétendume­nt québécoise­s, a tenté de façon malhabile et pernicieus­e de fédérer les xénophobes ordinaires aux vues rances et bornées et les défenseurs d’une laïcité de tendance républicai­ne, dont les féministes et les progressis­tes antiislami­stes. Les Québécois se sont débarrassé­s d’une religion pesante et omniprésen­te, et une majorité d’entre eux chérit la séparation de l’Église et l’État; ils voient d’un mauvais oeil le retour de la religion dans la chose publique. Pour cela, le Canada anglais et les chartistes leur ont jeté la pierre; aujourd’hui, pour nombre de progressis­tes bien-pensants, tout ce qui relève de l’identitair­e est le lot des ringards et de la droite.

Philippe Couillard sent que la CDSR est en train de déraper. Son organisati­on connaît des ratés. Surtout, elle ne semble pas favoriser le rapprochem­ent souhaité; la CDSR pourrait conduire à une exacerbati­on des tensions. Il est vrai que l’interventi­on du premier ministre est partisane: il ne veut pas traîner ce boulet l’an prochain, année de l’élection. Mais on ne peut lui en vouloir de chercher à corriger une situation qu’il a contribué à créer. Il doit trouver une sortie de secours.

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ROBERT DUTRISAC

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