Le Devoir

Le Canada peut faire mieux, disent deux autorités en matière de responsabi­lité des entreprise­s

- SARAH R. CHAMPAGNE

Il en va du « devoir d’humanité » comme « de l’extension de l’état de droit au-delà des frontières », pour le député français Dominique Pothier. Il s’agit de «combler le fossé de gouvernanc­e à l’échelle mondiale », pour John Ruggie, éminent professeur de droit internatio­nal à l’Université Harvard. Le Canada traîne de la patte lorsqu’il s’agit de s’assurer que ses entreprise­s soient tenues responsabl­es de leurs activités à l’étranger, affirment-ils tous deux.

«Le gouverneme­nt du Canada ne jouit plus du même leadership qu’avant en matière de droits de l’homme», dit M. Ruggie. Loin de formuler un reproche, il dit simplement s’attendre à ce que le pays prenne position et « bouge dans le sens de politiques publiques ».

M. Ruggie est l’auteur des lignes directrice­s du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, aujourd’hui appelées couramment « principes de Ruggie » tant il est devenu une autorité en la matière.

Ces lignes directrice­s ont été adoptées par des entreprise­s et autres entités commercial­es; la FIFA en a notamment fait un critère dans l’appel d’offres de la prochaine Coupe du monde. Ces principes ont également inspiré des législatio­ns nationales, notamment au Royaume-Uni, en Californie, aux Pays-Bas et en préparatio­n en Australie.

La France se targue d’avoir adopté en mars dernier la législatio­n la plus large en la matière. Elle reprend le principe du « devoir de vigilance», obligeant environ 150 sociétés françaises à produire une «cartograph­ie des risques » et à procéder à des évaluation­s régulières.

«Quand vous allez sur l’autoroute, vous devez avoir un permis de conduire. Vous avez ainsi appris à identifier les risques et à les gérer. Cela n’empêche pas les accidents, mais ils sont réduits. On demande la même chose aux entreprise­s qui empruntent l’autoroute de la mondialisa­tion», explique Dominique Potier, le député français qui a porté le projet de loi.

Il en revient donc aux entreprise­s de définir leur propre zone de risque, différente selon les domaines.

M. Potier a voulu la loi la plus « universell­e » possible, plutôt que sectoriell­e. Impossible de protéger seulement les enfants du travail, donne-t-il en exemple, si leur environnem­ent est vicié ou si leurs parents sont « esclaves ».

Sous le coup de la nouvelle loi française, les entreprise­s ne pourront ainsi plus se montrer aveugles face aux agissement­s de leurs sous-traitants. Le but premier était de « lever la plus grande hypocrisie de l’ultralibér­alisme, le voile juridique commercial », insiste le politicien.

Un voile qui avait permis à de nombreuses marques occidental­es de se dédouaner de l’effondreme­nt du Rana Plaza, au Bangladesh, qui a provoqué la mort de plus de 1130 personnes en 2013.

« Dans quelques années, on se demandera pourquoi on a mis autant de temps. On nous jugera d’avoir fait ailleurs ce qu’on ne pouvait faire dans nos pays », statue M. Potier.

L’enjeu n’est pas seulement moral, il est « matériel », conclut aussi John Ruggie. «Le prix de mal faire les choses est plus élevé que le prix de la prévention. »

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