Le Devoir

Un nouveau drame frappe les Rohingyas

Au moins 14 réfugiés ont perdu la vie dans le naufrage d’un bateau fuyant le Myanmar

- ALEXANDRE MARCHAND à Shah Porir Dwip SHAFIQUL ALAM à Dacca

Au moins 14 Rohingyas sont morts et des dizaines portés disparus lundi après le naufrage du bateau à bord duquel ils avaient fui le Myanmar, nouveau drame d’une crise ayant poussé plus d’un demi-million de réfugiés vers le Bangladesh en six semaines.

Les garde-côtes du Bangladesh ont récupéré les corps de 11 enfants, deux femmes et un homme. Les dépouilles ont été transporté­es sur le rivage de Shah Porir Dwip, localité à la pointe sud de ce pays pauvre d’Asie du Sud.

Le nombre exact de disparus est inconnu. Selon les témoignage­s, entre 60 et 100 personnes se trouvaient à bord de l’embarcatio­n qui a chaviré dans une mer houleuse. Treize ont été secourues du côté bangladais et certaines auraient pu nager jusqu’à la rive myanmarais­e.

Sous un soleil de plomb de mi-journée, sept des noyés, enveloppés dans des draps, ont été mis en terre dans un cimetière envahi d’herbes sauvages.

Aux côtés des fossoyeurs, Alif Jukhar bêchait la terre à main nue pour recouvrir les corps. Ce Rohingya, réfugié de longue date au Bangladesh, avait treize membres de sa famille à bord de l’embarcatio­n.

Au lieu d’être réuni avec eux pour la première fois depuis trois décennies, il n’aura retrouvé ses proches que pour les enterrer.

«Hier, j’ai eu mes parents au téléphone, ils m’ont dit qu’ils allaient arriver à Shah Porir Dwip demain», a-t-il dit à l’AFP entre deux sanglots.

Peu après, ravagé par la douleur, l’homme s’effondrait au milieu du cimetière, hurlant.

C’est le visage également couvert de larmes que Sayed Hossain, survivant du naufrage, regardait son fils de deux ans être emmené vers le cimetière.

«Nous sommes partis vers 18h [dimanche soir]. Nous n’avions pas d’autre choix que de quitter notre village » au Myanmar, a-t-il déclaré.

L’armée y «restreint nos déplacemen­ts. Beaucoup de gens sont affamés, car nous ne pouvons même pas aller dans des commerces ou au marché pour acheter de la nourriture», a-t-il décrit.

Au moins 150 Rohingyas ont trouvé la mort depuis fin août en tentant la traversée, périlleuse en cette saison de mousson, entre le Myanmar et le Bangladesh.

Fin de la trêve

L’ONU estime que l’armée myanmarais­e et les milices bouddhiste­s se livrent à une épuration ethnique contre la minorité musulmane.

Accusée d’incendier des villages pour inciter les Rohingyas au départ, l’armée myanmarais­e répond en mettant en cause les rebelles rohingyas eux-mêmes. Des accusation­s invérifiab­les puisque les autorités myanmarais­es interdisen­t l’accès à la zone de conflit.

Si le flux s’est ralenti par rapport à début septembre, l’exode des Rohingyas vers le Bangladesh continue cependant, principale­ment en raison du manque de nourriture dans l’ouest du Myanmar, où la souffrance est «inimaginab­le», selon l’ONU.

Environ 2000 réfugiés continuent à arriver chaque jour, selon l’Organisati­on internatio­nale pour les migrations (OIM). Et la crise ne donne pas de signes d’améliorati­on: les rebelles de l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA) ont rappelé samedi que le cessez-le-feu unilatéral d’un mois, déclaré le 10 septembre, s’achevait lundi soir à minuit.

Une nouvelle flambée de violences relancerai­t l’exode vers le Bangladesh et y aggraverai­t la crise humanitair­e.

«Si le cessez-le-feu s’arrêtait, l’armée recommence­rait les atrocités», redoutait Shah Alam, un réfugié rohingya rencontré par l’AFP près de Teknaf, arrivé dimanche soir par bateau au Bangladesh.

Confiance «irrévocabl­e»

Alors que les réfugiés vivent dans des conditions sanitaires déplorable­s, abrités sous des bâches de plastique et sans toilettes en nombre suffisant, l’ONU s’inquiète du projet d’extension du camp de Kutupalong, où vivent déjà plus de 300 000 réfugiés Rohingyas. Sa capacité pourrait être portée à 800 000 places, pour faire face à une crise partie pour durer.

Pendant ce temps, au Myanmar, le ressentime­nt envers la communauté internatio­nale, accusée de parti pris pro-rohingya, reste fort.

Le journal officiel Global New Light of Myanmar rapportait en une l’opération de protestati­on contre le retrait du portrait de Aung San Suu Kyi, la dirigeante du Myanmar et Prix Nobel de la paix, des murs de l’Université d’Oxford.

Des peintres myanmarais se sont réunis pour peindre celle qui reste une icône dans son pays, où il est commun de l’appeler «mère».

«Notre confiance totale en notre mère est irrévocabl­e », dit U Nay Aung Shu, de l’Associatio­n des artistes traditionn­els.

Aung San Suu Kyi est très critiquée à l’étranger pour son peu d’empathie envers les Rohingyas, considérés comme une des minorités les plus persécutée­s au monde, dans ce pays marqué par un fort nationalis­me bouddhiste.

Elle doit composer avec une armée qui reste très puissante, malgré l’autodissol­ution de la junte en 2011, ainsi qu’une opinion publique largement xénophobe et anti-musulmane.

 ?? FRED DUFOUR AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Des réfugiés rohingyas traversaie­nt lundi la rivière Naf, qui relie le Myanmar au Bangladesh. Ils sont environ 2000 à s’exiler chaque jour, selon l’Organisati­on internatio­nale pour les migrations.
FRED DUFOUR AGENCE FRANCE-PRESSE Des réfugiés rohingyas traversaie­nt lundi la rivière Naf, qui relie le Myanmar au Bangladesh. Ils sont environ 2000 à s’exiler chaque jour, selon l’Organisati­on internatio­nale pour les migrations.

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