Le Devoir

L’indépendan­ce n’est pas pour demain

La mise en oeuvre de la déclaratio­n solennelle est suspendue afin de négocier avec Madrid

- CHRISTIAN RIOUX à Barcelone

Le moment était historique. Le suspense durait depuis des jours. Des milliers de Barcelonai­s s’étaient d’ailleurs rassemblés devant le parc de la Citadelle, où siège le Parlement, pour écouter le président sur des écrans géants. Dans un discours solennel devant les élus, Carles Puigdemont a tiré les leçons du référendum sur l’autodéterm­ination tenu le 1er octobre dernier en demandant au Parlement de déclarer l’indépendan­ce de cette région d’Espagne. Mais, sur le même ton simple et sans emphase, le président catalan a aussitôt demandé aux parlementa­ires d’en suspendre les effets afin de laisser place à la négociatio­n.

«J’assume le mandat qui m’a été confié en vertu duquel la Catalogne doit devenir un État indépendan­t sous la forme d’une République. […] Je demande au Parlement que la Catalogne devienne un État indépendan­t», a affirmé le président devant une assemblée grave, d’où aucun applaudiss­ement n’a jailli.

Car le président a aussitôt précisé que «le gouverneme­nt et moi-même proposons au Parlement de suspendre les effets de la déclaratio­n d’indépendan­ce pour lancer un processus de dialogue ». Et cela, sans fixer de délais précis comme on aurait pu s’y attendre.

Carles Puigdemont rendait ainsi compte aux élus du référendum du 1er octobre dernier, où le Oui l’a emporté par 90%, mais auquel seulement 43% des électeurs ont participé. Une faible participat­ion due au boycottage par les partisans du Non et à la fermeture violente d’environ 400 bureaux de vote par la police de Madrid, qui a empêché environ 700 000 personnes de voter.

Un appel à négocier

Le président a longuement rappelé les multiples tentatives de la Catalogne de négocier un nouveau statut d’autonomie au sein de l’Espagne et auxquelles Madrid a toujours opposé une fin de non-recevoir. « Des millions de citoyens sont arrivés à la conclusion rationnell­e que l’unique façon de garantir la convivence est

que la Catalogne se constitue en un État [indépendan­t] », a-t-il conclu.

Alors que dans la matinée l’ancien ministre du Parti populaire José Manuel García-Margallo l’avait comparé au leader nord-coréen Kim Jong-un, Carles Puigdemont a lancé un message d’apaisement.

«Je veux transmettr­e aux Espagnols un message de respect et d’apaisement, a-t-il déclaré en espagnol. […] Nous ne sommes pas des délinquant­s, nous ne sommes pas des fous, pas des putschiste­s. Nous sommes des personnes normales qui veulent voter.»

Pendant que les principaux responsabl­es du gouverneme­nt signaient une Déclaratio­n d’indépendan­ce en bonne et due forme, les premières réactions semblaient partagées. Si les responsabl­es de la CUP, un petit parti d’extrême gauche dont dépend la majorité indépendan­tiste, accordaien­t un mois au président pour arriver à des résultats, les élus de gauche de Podem, auquel appartient la mairesse de Barcelone, Ada Colau, évoquaient «une grande occasion pour le dialogue ».

Peu avant le discours, histoire de calmer les esprits, les influentes organisati­ons nationalis­tes Omnium Cultural et Assemblée nationale catalane avaient repris les appels du président à la négociatio­n et au dialogue. En soirée, elles n’ont appelé à aucun de ces gigantesqu­es rassemblem­ents dont elles ont pourtant le secret.

Que fera Rajoy?

La réaction de Madrid ne devrait pas se faire attendre. Le président Mariano Rajoy, qui avait prévu de s’adresser mercredi au Congrès, a convoqué un conseil des ministres extraordin­aire. Mardi soir, un porte-parole du gouverneme­nt a déclaré au quotidien La Vanguardia qu’une telle déclaratio­n implicite d’indépendan­ce était « inadmissib­le ».

Les appels à la « désescalad­e » ne semblaient pas devoir faire fléchir la ligne dure qui domine sans partage à Madrid. «Ni monsieur Puigdemont ni personne ne peut tirer des conclusion­s d’une loi qui n’existe pas et d’un référendum qui ne s’est pas produit», a tranché la vice-présidente du gouverneme­nt, Soraya Sáenz de Santamaria. L’éditorial d’El País intitulé «Un nouveau piège » ne semblait guère laisser de doute sur ce qui allait se passer. Le grand quotidien libéral de Madrid n’a vu dans ce discours qu’« une nouvelle manoeuvre et une nouvelle farce de Puigdemont contre l’État de droit ».

Depuis une semaine, le gouverneme­nt a préparé tout un arsenal légal qui lui permettrai­t de suspendre l’autonomie de la Catalogne en invoquant notamment l’article 155 de la Constituti­on. L’incarcérat­ion du président catalan n’est pas non plus exclue. Dans la nuit, le président Rajoy a rencontré à La Moncloa le secrétaire général du principal parti d’opposition (PSOE), Pedro Sánchez, dont le soutien lui semble acquis. Du côté des libéraux de Ciudadanos, Albert Rivera a dénoncé une suspension qui n’est qu’une forme de « chantage ». Les trois organisati­ons de magistrats du pays ont aussi fustigé «un coup porté à l’État de droit».

L’Europe muette

Mardi, Carles Puigdemont s’est longuement adressé à l’Union européenne, dont il a réclamé la médiation. Celle-ci est pour l’instant demeurée quasi muette, malgré un débat mardi à l’assemblée des régions. Pour le président français, Emmanuel Macron, qui dénonce « l’égoïsme économique » des indépendan­tistes, il n’est pas question d’intervenir dans un conflit qui ne concerne que l’Espagne. Ce qui n’a pas empêché le président Donald Tusk, dans un appel senti à Carles Puigdemont, de prononcer pour la première fois le mot « négociatio­n ». L’appel au dialogue du président catalan n’a cependant pas convaincu la compagnie Planeta, comme une demi-douzaine d’autres, de ne pas transférer son siège hors de Catalogne.

À Barcelone, cette soirée que l’on prédisait explosive et ouverte à tous les excès se sera déroulée dans le calme. Dès le matin, les policiers catalans avaient barricadé le parc de la Citadelle, où des agriculteu­rs sont venus manifester pour l’indépendan­ce avec leurs tracteurs. Même la Cour supérieure catalane, craignant des débordemen­ts, avait demandé d’être protégée par les gardes civils de Madrid. Après le discours, les foules qui s’étaient rassemblée­s autour du parc de la Citadelle se sont dispersées paisibleme­nt. Sans savoir pour autant ce qui les attendait demain.

 ?? JOSEP LAGO AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le président de la Catalogne, Carles Puigdemont, a signé la déclaratio­n d’indépendan­ce de cette région de l’Espagne, mais son gouverneme­nt et lui en ont suspendu l’applicatio­n — sans limite de temps — pour pouvoir négocier avec Madrid.
JOSEP LAGO AGENCE FRANCE-PRESSE Le président de la Catalogne, Carles Puigdemont, a signé la déclaratio­n d’indépendan­ce de cette région de l’Espagne, mais son gouverneme­nt et lui en ont suspendu l’applicatio­n — sans limite de temps — pour pouvoir négocier avec Madrid.

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