Jagmeet Singh à la conquête des Jeannois
La visite du chef néodémocrate à Alma n’est pas passée inaperçue
Il souhaite que la consultation sur la discrimination systémique et le racisme se fasse non seulement au Québec, mais partout au pays. Il croit que le projet de loi libéral sur la neutralité religieuse échouera au test des tribunaux. Il s’engage à respecter le verdict d’un référendum sur l’indépendance du Québec.
Mais les prises de position de Jagmeet Singh, les électeurs du Lac-Saint-Jean ne s’y intéresseront pas… s’ils décident de ne pas voter au-delà du turban.
Fraîchement élu, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) a pris un bain de foule mardi à Alma, où il est allé prêter main-forte à la candidate Gisèle Dallaire, qui brigue les suffrages à l’élection partielle dans Lac-Saint-Jean. Ceux qui l’ont croisé sur leur chemin se sont montrés enjoués, rivalisant d’égoportraits à faire pâlir d’envie le premier ministre Justin Trudeau. Jagmeet Singh est de la même trempe : il empoigne les mains des passants davantage qu’il ne les serre, s’avance sans notes devant les journalistes et ne s’encombre pas du traditionnel veston-cravate.
Le courant passe visiblement entre lui et les citoyens, mais l’impression qu’il laisse derrière n’est pas unanime. «Il a une grosse avance», atteste sans détour Réjane Larouche, ravie de l’avoir tout juste rencontré. La marguillière croyait d’abord avoir affaire à un élu péquiste. Mais qu’importe le parti: elle se réjouit de voir un homme sikh en politique. «Moi, je suis tellement contente quand je vois des personnes de même!» lance-t-elle.
Plus loin, les commentaires de Mélissa Bouchard et de Sébastien Boies sont sans équivoque, mais différents. «C’est sûr que ça va être le pur laine », tranche la première, quand on lui demande quel va être l’enjeu de la campagne. Son conjoint et elle s’en désolent. «Les gens pensent qu’il est musulman. Ils vont sur Facebook ou Internet faire des commentaires», déplore l’homme.
Autour d’un café, Lise Lessard et Robert Côté baissent les yeux sur le journal qu’ils tiennent entre les mains. Jagmeet Singh est en première page. «C’est quoi son nom?» demande l’un. «Jag… Jagmeet — c’est dur à prononcer », remarque l’autre. Dans un autre restaurant, un homme lance, sûr de lui: « C’est un Singh, il doit venir du Punjab. Les gens n’ont pas vu ça souvent, ici.»
Une circonscription homogène
Jagmeet Singh est plutôt né en banlieue de Toronto, de parents qui ont bel et bien émigré du Punjab, une région du nord-ouest de l’Inde dont il a appris la langue. Et il aurait bel et bien du mal à s’entretenir dans celle-ci au Lac-SaintJean, où seulement cinq personnes ont déclaré parler le punjabi en 2016.
Dans la région majoritairement blanche, où vivent 0,3% des immigrants admis au Québec, le port du turban et du kirpan peuvent apparaître comme des sujets inévitables. Mais pas pour les candidats, qui bagarrent pour obtenir, à la partielle du 23 octobre, le siège que le conservateur Denis Lebel a laissé vacant en juin. « [Le fait d’être sikh], je ne sais pas si ça peut jouer, ce sera à ceux qui sont d’allégeance NPD à faire leur choix», estime le candidat conservateur Rémy Leclerc, qui tente de garder la région bleue. Dès jeudi, et jusqu’à samedi, il profitera de l’appui du chef Andrew Scheer sur le terrain. «Les gens vont voter pour la personne qui sera la meilleure pour poursuivre le mandat de M. Lebel», ajoute celui qui croit que la légalisation de la marijuana est le thème principal de la campagne. L’ex-maire de Dolbeau-Mistassini devenu candidat libéral Richard Hébert n’en croit rien. «Les gens ne votaient pas Parti conservateur, ils votaient Denis. La disparition de Denis Lebel, c’est la disparition des conservateurs», annonce-t-il déjà. Sur le terrain, on lui parle des « jobs ». « Ils veulent travailler », dit-il au sujet des citoyens du Lac-SaintJean. Ce qu’ils pensent de Jagmeet Singh? « Je ne m’en préoccupe pas », assure-t-il.
Le candidat bloquiste, Marc Maltais, se positionne plutôt comme celui qui est «enraciné», résume le député de Lac-Saint-Jean Alexandre Cloutier, qui lui a accordé son appui mardi, quelques heures avant que les employés syndiqués de l’usine Rio Tinto d’Alma ne fassent la même chose, au détriment de la néodémocrate Gisèle Dallaire. Emploi, enjeux forestiers, accord de libre-échange, gestion de l’offre: «On veut un député qui va se tenir debout», dit l’élu péquiste. À propos des signes religieux, Alexandre Cloutier reste prudent. «Ça ne change rien. Je ne pense pas qu’il y a une vague Jagmeet Singh au Québec, affirme-t-il. Les gens ne le connaissent pas, mais ils ont peut-être un intérêt pour le découvrir. »
Pour une consultation canadienne
S’ils décident de le faire, ils trouveront un homme prêt à étendre le périlleux exercice d’étude de la discrimination systémique à la grandeur du Canada. «C’est quelque chose qui existe à travers les pays, dans toutes les régions, alors pourquoi ne pas parler de ces enjeux?» a proposé le chef néodémocrate mardi. En point de presse, il a refusé de commenter un sondage du Toronto Star, qui rapportait vendredi que les Québécois étaient les plus réfractaires à ses signes religieux au pays. «Les gens du Québec sont des gens ouverts, avec un esprit ouvert. C’est une des nations les plus progressistes à travers le pays, avec des politiques progressistes», a martelé le chef, faisant fi des chiffres voulant que 47% des Québécois interrogés se soient dit mal à l’aise de voter pour un sikh portant le turban.
Et puis, celui qui s’est exprimé en français toute la journée s’est engagé à «respecter la décision du peuple » dans l’éventualité d’un référendum qui consacrerait l’indépendance du Québec. «C’est un droit tellement fondamental: si les gens décident de leur avenir, je suis complètement d’accord avec leur décision», a-t-il déclaré, après avoir dit espérer récolter une partie du vote souverainiste à la partielle du 23 octobre, deux ans après une élection générale qui a échappé au NPD par cinq points de pourcentage.