Le Devoir

Calculs politiques déplorable­s

- FRANCINE PELLETIER

Àla suite des piteux résultats dans Louis-Hébert, on presse Philippe Couillard de larguer la commission sur le racisme systémique, une des raisons, dit-on, de la « claque sur la gueule ». Selon l’ex-ministre libérale et animatrice de radio Nathalie Normandeau, les Québécois n’en pourraient plus de se faire dire «qu’on est racistes, xénophobes ».

Mais d’où vient l’idée (farfelue) que nous assistons ici à une «commission d’accablemen­t des francophon­es»? Par quel tour de passepasse une consultati­on sur la discrimina­tion de minorités visibles devient-elle un exercice de discrimina­tion envers la majorité ? Depuis les années 1960, toutes les grandes problémati­ques de l’heure — éducation, santé, justice, égalité hommes-femmes — sont passées par des consultati­ons publiques. A-t-on crié au «procès des Québécois» au moment de la commission Parent? Cliche? Charbonnea­u? Pourtant, à chacune de ses grandes dissection­s de la société québécoise, il y avait de quoi croupir de honte.

Il serait donc possible de contempler un Québec ignare, corrompu, toujours soumis à un patronage éhonté sans grimper dans les rideaux, sans y déceler autre chose qu’une façon d’y voir plus clair? Mais entendre parler de racisme de la part de ceux et celles qui le vivent serait un affront inimaginab­le, une « farce », un « procès du nationalis­me québécois », la mutilation de « l’âme et [du] coeur d’un peuple entraînant des conséquenc­es irréparabl­es »?

Nous voici donc plongés dans une autre tragicoméd­ie dont le Québec semble avoir le secret. On retrouve ici le même dialogue de sourds, la même indignatio­n outrée de part et d’autre, la même incrédulit­é devant les propos de gens qu’on croit pourtant connaître (eh? il a dit ça?), amèrement vécus lors du débat sur la charte des valeurs dites québécoise­s.

Ce n’est pas par hasard si la première salve dans ce nouveau combat identitair­e a été lancée par le chef du PQ. Après l’annonce de la commission en mars dernier, Jean-François Lisée a été le premier à dénoncer ce «procès en racisme et en xénophobie que les Québécois vont subir ». Claque sur la gueule oblige. À la suite de la défaite-surprise du PQ et du rejet de sa propositio­n de charte aux dernières élections, l’occasion était tout indiquée de reprendre l’initiative en peinturant l’adversaire dans le coin honni du multicultu­ralisme. «Ça suffit de culpabilis­er les Québécois qui tiennent à la laïcité!» de s’indigner M. Lisée. La pelure de banane était lancée. À partir de ce moment-là, nous assistions à un pugilat entre, d’un côté, ceux qui défendent le bon peuple (le « nous ») et, de l’autre, ceux qui défendent, à l’instar d’Ottawa, les pauvres immigrants (le «eux»). Devinez qui risque de l’emporter.

Il y a évidemment toutes sortes de raison de se méfier des intentions du gouverneme­nt Couillard dans cette affaire. En perte de vitesse auprès de l’électorat francophon­e — qu’il n’a jamais su, c’est vrai, bien défendre —, M. Couillard a intérêt à garder les communauté­s culturelle­s solidement dans son coin. La diversité n’est pas une question entièremen­t neutre pour le PLQ, pas plus que la laïcité l’est pour le PQ — ou encore pour la CAQ, qui, à l’instar de ces gros footballeu­rs qui s’empilent les uns par-dessus les autres sur le même petit ballon, n’a pas tardé à se jeter dans la mêlée. Dans tous les cas, le pari électoral pue au nez.

Cela dit, l’enjeu, dans le cas qui nous occupe, n’est pas la laïcité mais bien la diversité. Ce n’est pas exactement le même débat. La laïcité, d’abord, n’a jamais été perçue ici comme problémati­que. Les 50 dernières années sont un testament à la transforma­tion harmonieus­e d’une société archicatho­lique en une société qui n’est plus du tout guidée aujourd’hui par des considérat­ions religieuse­s. Applaudiss­ons l’exploit, mais admettons qu’en ce qui concerne la cohabitati­on gracieuse d’une société multiethni­que, nous avons encore quelques croûtes à manger. La série noire de crimes haineux contre la communauté musulmane, pour ne rien dire de la montée de l’extrême droite ici comme ailleurs en Occident, est là pour nous le rappeler.

Au Québec comme ailleurs, le défi de l’heure n’est pas tant celui de la tolérance religieuse que la tolérance tout court. Sommes-nous prêts, non seulement à accepter parmi nous, mais à traiter comme nos vis-à-vis, nos égaux, ceux et celles qui ne nous ressemblen­t pas ?

Malgré tous ses défauts, une consultati­on sur la discrimina­tion systémique m’apparaît, au contraire, tout indiquée.

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