Couillard corrige le tir
Le remaniement ministériel fait écho à la défaite dans Louis-Hébert
Moins de 10 jours après la confiscation du fief de Louis-Hébert par la CAQ, Philippe Couillard a déplacé ses pièces sur l’échiquier politique, au moyen d’un remaniement ministériel d’envergure.
Le premier ministre a donné le mot d’ordre aux 31 membres du Conseil des ministres de « faciliter la vie des familles et de tous les Québécois » d’ici les prochaines élections générales. Les cinq recrues — Isabelle Melançon (Développement durable), Marie Montpetit (Culture), André Fortin (Transports), Véronyque Tremblay (Transports) et Stéphane Billette (PME) — étaient tout ouïe.
M. Couillard compte gagner ou regagner la confiance des Québécois en réglant leurs « problèmes du quotidien». « Le Québec a retrouvé sa liberté d’agir et des finances en bon état. Il nous faut écouter et bien comprendre la population du Québec, miser sur le talent des Québécois et des Québécoises, les appuyer avec des politiques pertinentes qui veulent dire quelque chose dans la réalité de la vie quotidienne des gens et donner à tout le monde possibilité et conviction qu’ici on peut arriver à son plein potentiel », a-t-il déclaré, sans grand enthousiasme, dans le Salon rouge de l’Hôtel du Parlement. La fougue qui l’habitait lorsqu’il a remonté le moral des employés du programme de la CSeries de Bombardier à coups de «Je suis fier en tabarnouche!» et de « Pas un boulon, pas une pièce, pas un avion [de Boeing sera acheté par le Canada] !» fin septembre s’était envolée.
Les nouveaux ministres ont tout de même bien saisi la consigne. « Les gens veulent regagner du temps avec leur famille. Au ministère des Transports, on peut agir concrètement dans ces choses-là, et c’est là-dessus que, moi, je vais travailler », a lancé à la presse le nouveau ministre des Transports, André Fortin.
Véronyque Tremblay l’appuiera à titre de mi-
Le premier ministre dit vouloir régler les « problèmes du quotidien» des Québécois
nistre déléguée aux Transports «pour Québec et l’Est-du-Québec», d’autant plus que la fluidité des grandes artères constituera à coup sûr, selon elle, « un enjeu majeur » de la bataille électorale dans la Capitale-Nationale en 2018. « On veut que ça circule bien dans la région de Québec ! » a lancé à la presse l’ex-journaliste, qui avait causé la surprise en arrachant la circonscription de Chauveau à la CAQ en 2015.
D’autre part, M. Couillard a demandé à l’énergique Sébastien Proulx de garder un oeil sur les enjeux de la Capitale-Nationale, tout en continuant à diriger le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. L’ex-adéquiste prend ainsi le relais de François Blais. L’auteur de l’essai Un revenu garanti pour tous conser ve toutefois le portefeuille de l’Emploi et de la Solidarité sociale.
Le premier ministre a invité Dominique Anglade à s’asseoir à ses côtés dans le Salon bleu dès la reprise des travaux parlementaires, mardi prochain. Reléguée au second plan, Lise Thériault a dû céder son titre de vice-première ministre à l’ex-présidente de la CAQ, mais également celui de ministre responsable des PME à Stéphane Billette et celui de ministre responsable de la Condition féminine à Hélène David. «Vive les femmes!» s’est d’ailleurs exclamée la ministre de l’Enseignement supérieur à l’annonce de sa nouvelle responsabilité. Mme Thériault, une élue « beaucoup plus égalitaire que féministe », se charge désormais de la Protection des consommateurs et de l’Habitation.
« Patate chaude »
Par ailleurs, M. Couillard a profité du remaniement ministériel pour retirer la consultation sur la discrimination systémique et le racisme des mains de Kathleen Weil. C’est David Heurtel qui prend les commandes du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion. «Avez-vous l’impression d’hériter d’une patate chaude?» lui a demandé une journaliste à l’issue de la première séance du Conseil des ministres revu et corrigé mercredi après-midi. «J’hérite d’un dossier extraordinaire, un dossier d’avenir, un dossier porteur», a-t-il répondu. Cela dit, il compte examiner « la mécanique » de la Consultation, qui est actuellement pilotée par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse. « S’il y a lieu de l’améliorer, on va le faire », a-t-il déclaré, non sans savoir que plusieurs élus libéraux de Québec ont attribué la défaite cinglante du PLQ dans Louis-Hébert en partie au «certain malaise» suscité par l’exercice assimilé à un «procès des Québécois». «Laissez-moi regarder l’état des lieux. Moi, je crois qu’on est mûrs comme société, et puis on se doit d’avoir une conversation sobre, digne, empreinte de compassion sur ce sujet-là», a conclu M. Heurtel.
De son côté, Kathleen Weil succède à Rita de Santis — seule ministre à laquelle M. Couillard a montré la porte mercredi — à l’Accès à l’information et à la Réforme des institutions démocratiques. La députée de Notre-Dame-deGrâce remplit également le rôle de ministre responsable des Relations avec les Québécois de langue anglaise: une nouvelle fonction au Conseil des ministres. « Mes amis, Québécois d’expression anglaise, […] je veux que vous sachiez et que vous sentiez que vous êtes tous des citoyens de première classe. Je vous ai dit que je nommerais un ministre pour exprimer les préoccupations des Québécois anglophones. Aujourd’hui, cette promesse se concrétise», a affirmé M. Couillard, en anglais, durant la cérémonie de prestation de serment des membres du gouvernement.
Sang neuf
Outre Véronyque Tremblay (43 ans) et André Fortin (35 ans), M. Couillard a invité Isabelle Melançon (43 ans) et Marie Montpetit (38 ans) à grossir les rangs du Conseil des ministres.
Il a envoyé Mme Melançon à la tête du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques et Mme Montpetit à la tête du ministère de la Culture et des Communications.
Toutes deux ont promis de se familiariser rapidement avec les dossiers importants qui mobilisent leur ministère respectif: l’encadrement de l’exploitation du pétrole et du gaz pour le premier, le renouvellement de la politique culturelle pour le second. «Les grandes philosophies, vous me connaissez, je suis plus terre à terre que ça. Je vais vous revenir rapidement, très rapidement», a dit Mme Melançon. «Je vais essayer d’aller le plus vite possible pour continuer ce que mon collègue, mon prédécesseur avait commencé », a dit Mme Montpetit, qui s’est également vu confier mercredi la responsabilité de protéger et de promouvoir la langue française, et ce, 40 ans après l’adoption de la loi 101.
Plus de jeunes, plus de femmes, plus de ministres issus des régions au gouvernement, a promis M. Couillard au fil des derniers mois. Promesses tenues? En partie. La moyenne d’âge des membres du Conseil des ministres est passée de 54,7 à 51,1 ans, mais la proportion de femmes s’est quant à elle maintenue à quelque 42 % (13 femmes sur 31 membres). Qui plus est, à peine 20% du budget du Québec est entre les mains des femmes ministres. En effet, les poids lourds du gouvernement Couillard ont conservé leurs responsabilités, comme Carlos Leitão aux Finances, Gaétan Barrette à la Santé ainsi que Sébastien Proulx à l’Éducation.
Malgré le départ de Mme de Santis, l’île de Montréal voit sa représentation s’accroître à l’Assemblée nationale grâce à l’arrivée de Mme Melançon (Verdun) et Mme Montpetit (Crémazie) et au retour de Robert Poëti (Marguerite-Bourgeoys).
Robert Poëti a en effet effectué mercredi son retour au gouvernement après avoir été évincé du MTQ en janvier 2016. Le premier ministre a taillé sur mesure un poste pour l’ex-policier à la Sûreté du Québec: ministre délégué à l’Intégrité des marchés publics et aux Ressources informationnelles.
Le remaniement ministériel ne constitue qu’un coup de communication, selon les partis d’opposition. «Le premier ministre a seulement augmenté le nombre de ses ministres; nous ne voyons rien dans ce remaniement pour les patients, les familles, les régions, ni les aînés du Québec », a fait valoir le chef de l’opposition officielle, Jean-François Lisée.