Le Devoir

Plus qu’une histoire de cowboys et d’Indiens

Il était une fois… le western, au Musée des beaux-arts de Montréal

- CAROLINE MONTPETIT

Jeune nation à l’histoire courte, les États-Unis d’Amérique doivent une partie de leur identité à des oeuvres de fiction. Et le western, ce genre cinématogr­aphique américain par essence, a charrié avec lui son lot d’idées fausses. C’est ce que tente d’établir l’exposition Il était une fois… le western, présentée au Musée des Beaux-arts de Montréal. À travers des toiles, des artefacts et de nombreux extraits cinématogr­aphiques, l’exposition revisite le western depuis ses origines, en développan­t parallèlem­ent, dans chacune des salles, un regard critique sur les idéologies qu’il véhicule, en ce qui a trait au racisme, au sexisme et à la violence.

«Je suis né là où il n’y avait pas de clôture », dit le chef lakota Sitting Bull, dans une citation affichée sur un mur de l’exposition. «Nous avons voulu montrer que l’Ouest n’était pas un endroit désert lorsque les Européens sont arrivés. Il y avait des

gens qui y vivaient», ajoute Mary-Dailey Desmarais, commissair­e de l’exposition et conservatr­ice de l’art moderne au MBAM.

Impossible, d’ailleurs, d’occulter l’immensité du territoire lorsque l’on parle de l’ouest de l’Amérique du Nord, des étendues arides du désert d’Arizona, aux sommets neigeux des Rocheuses. C’est d’autant plus frappant sur les toiles qui ont représenté l’Ouest américain avant même l’avènement du cinéma. L’exposition présente notamment ce tableau de William Jacob Hays, Un troupeau de bisons dans le lit du Missouri, peint en 1862, où les bêtes forment comme une mer mouvante dans le creux des collines. Le bison, nous rappelle-ton, a été presque anéanti par le passage des colons blancs, d’une part par la chasse, mais aussi à cause d’une «tentative délibérée» de priver les population­s autochtone­s de leur source de subsistanc­e. Au milieu du XXe siècle, on ne trouvait presque plus de bisons dans l’ouest de l’Amérique.

Puis, viennent les débuts du western américain, avec toute la filmograph­ie de John Ford par exemple, abondammen­t présentée dans l’exposition, et qui s’abreuve aussi de l’oeuvre picturale. «Lorsque les westerns ont été tournés, la conquête de l’Ouest était déjà terminée», rappelle la présidente-directrice générale du MBAM, Nathalie Bondil, mentionnan­t la part nostalgiqu­e des représenta­tions de la réalité qu’on y trouve. Ford a d’ailleurs lui-même admis s’être inspiré de l’oeuvre de Charles M. Russell pour créer ses films. Les films de Ford puisent aussi, à leur façon, dans des histoires d’époque. Ainsi, le très célèbre film The Searchers a été tiré du roman d’Alan Le May, lui-même librement inspiré de l’histoire de Cynthia Ann Parker.

Cynthia Ann Parker est cette jeune AngloAméri­caine kidnappée en 1836 par une bande d’autochtone­s comanches, qui avaient massacré le village de sa famille. Rebaptisée Naduah, qui veut dire « quelqu’un qui est trouvé » en comanche, elle a vécu 24 ans avec les Comanches, a épousé un chef de la tribu dont elle a eu trois enfants. L’un d’eux est d’ailleurs devenu chef comanche à son tour. À l’âge de 34 ans, elle est retrouvée par les Rangers du Texas, mais refuse désormais de s’ajuster au mode de vie des Blancs, s’échappant même pour retrouver sa famille comanche.

Revenant sur le thème de la femme blanche captive de l’autochtone, l’une des grandes obsessions des colons blancs, l’exposition propose une réflexion autour de l’oeuvre La captive, de Eanger Irving Couse, peinte en 1891, où une femme blanche gît, ligotée, au côté d’un autochtone qui semble veiller sur elle. L’audioguide nous rappelle à ce sujet que les mariages interracia­ux ont été interdits aux États-Unis jusqu’en 1967…

On pose en cours d’exposition un regard sur les grandes personnali­tés fondatrice­s du mythe de l’Ouest : de Billy the Kid à Geronimo, de Sitting Bull à Calamity Jane, en passant par John Ford et Buffalo Bill. Aux côtés des toiles et des extraits de films montrant les éternelles batailles entre cowboys et Amérindien­s, on trouve dans l’exposition des oeuvres autochtone­s, dont ces émouvants dessins de scènes de guerre tracés à la fin du XIXe siècle sur du papier de comptabili­té, par des artistes cheyennes anonymes, et où ce ne sont pas toujours les cowboys qui gagnent…

Et il n’y a pas que les autochtone­s qui ont vu leur image transformé­e sur le grand écran des westerns. La célèbre Calamity Jane, de son vrai nom Martha Jane Cannary, qui a acquis sa notoriété en faisant campagne contre les Amérindien­s en Arizona, n’avait pas du tout, dans la vie, la blonde figure de Doris Day, qui l’a incarnée dans une comédie musicale…

Tant Calamity Jane que Sitting Bull ont pourtant participé au spectacle du Buffalo Bill’s Wild West Show, monté par Buffalo Bill, alias William Cody, à qui l’exposition consacre une salle. Buffalo Bill a d’ailleurs été chasseur de bisons avant de diriger cette troupe de théâtre qui a fait sensation en Europe, en présentant une vision mythique du Far West.

Après la Seconde Guerre mondiale, on parle du crépuscule du cowboy, qui survient parallèlem­ent au mouvement de l’expression­niste abstrait, mené entre autres par Jackson Pollock, originaire du Wyoming. Puis, Sergio Leone, à qui l’exposition consacre une salle, revisite le western en parodie. « C’était un anarchiste », dit Nathalie Bondil, qui avoue un faible pour le réalisateu­r italien.

Dans les années 1960, le American Indian Movement engage une relecture des westerns d’antan, ainsi que de la réalité autochtone américaine. L’Indien américain, un tableau de Andy Warhol présente Russel Means en noir et blanc, comme pour évacuer la dimension « colorée » de la représenta­tion. Des films comme Midnight Cowboy, ou plus tard Brokeback Mountain, revisitero­nt pour leur part le stéréotype masculin et hétérosexu­el du cowboy. Le très beau catalogue de l’exposition présente le lien entre le western et l’art contempora­in comme «la recherche de l’innocence perdue». Muet, l’art de la Micmaque Gail Tremblay, qui fabrique des paniers de forme traditionn­elle avec de la pellicule de film et qui clôt l’exposition, est évocateur.

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DICKINSON RESEARCH CENTER «Immigrants traversant les plaines», une huile sur toile (1867) d’Albert Bierstadt (18301902)

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