Le Devoir

Ottawa manque d’argent pour sécuriser les lieux de culte

- LISA-MARIE GERVAIS

Croulant sous les demandes depuis l’attentat à la grande mosquée de Québec, le programme fédéral pour sécuriser les organismes et lieux de culte du pays a défoncé son budget annuel. Le Devoir a appris qu’au cours des derniers mois, Ottawa n’a pas pu répondre à près d’une centaine de demandes d’aide financière pour installer des systèmes de sécurité (serrures, caméras, etc.), faute d’argent.

Déjà, pour 2017-2018, le premier appel de projets, du 1er décembre 2016 au 31 janvier 2017 — prolongé jusqu’au 31 mars à la suite de la fusillade du Centre culturel islamique de Québec —, avait donné le ton: 246 demandes de financemen­t ont été reçues au Programme de financemen­t des projets d’infrastruc­ture de sécurité (PFPIS) pour les collectivi­tés à risque, dont 75% ont été déposées après les événements tragiques. «Il y a eu un effet mosquée de Québec», a souligné Antoine Bourdages, directeur des Programmes de la sécurité communauta­ire à Sécurité publique Canada.

Si les demandes de subvention­s pour sécuriser des mosquées ont été les plus nombreuses (51% des demandes), d’autres centres communauta­ires, écoles ou lieux de cultes — des synagogues, par exemple — ont également voulu se prévaloir de cette aide financière. «La vague s’est fait ressentir partout à travers le Canada, qu’on soit à Québec, Montréal, Toronto, Vancouver ou Terre-Neuve-et-Labrador», a-t-il ajouté.

À Sherbrooke, l’Associatio­n culturelle islamique de l’Estrie (ACIE) a aussi déposé une demande d’aide financière peu après les attentats à la grande mosquée de Québec. Son président d’alors, Mohamed Golli, n’avait jamais entendu parler du PFPIS auparavant, mais sa mosquée ayant déjà subi du vandalisme, il n’a pas voulu lésiner sur la sécurité. «On a demandé une subvention pour des caméras de sécurité et des portes avec un code d’accès. On a changé les serrures aussi. Et on va avoir une clôture qui va adhérer au paysage urbain », a-t-il expliqué.

Plus de 2 millions octroyés

Sur les 246 dossiers de la première cohorte,

Les demandes d’aide se sont multipliée­s après l’attaque à la grande mosquée de Québec

« une quinzaine » ne se qualifiait pas et 70 ont été retenus, car ils ont eu le meilleur score selon un instrument d’évaluation standardis­é. Les quelque 150 autres ont essuyé un refus — il n’y avait plus d’argent pour eux — et ont été invités à postuler au second appel d’offres, du 1er juin au 31 juillet derniers. Et des 70 projets choisis, seuls 62 projets ont été financés jusqu’ici, pour un total de 2,25 millions, les 8 autres dossiers étant toujours en cours de traitement. «Effectivem­ent, quand on va avoir signé les 70 ententes, on va être au-dessus des 2 millions [du budget], a confirmé M. Bourdages. Mais je ne peux pas encore vous dire combien cette première cohorte va valoir.»

Alors, s’il n’y a déjà plus d’argent, comment financer les demandes déposées lors du second appel d’offres cet été? «On va devoir avoir des discussion­s à l’interne pour trouver des fonds additionne­ls pour financer cette cohorte», a dit M. Bourdages. Le cabinet du ministre de la Sécurité publique du Canada, Ralph Goodale, a confirmé qu’il étudiait la possibilit­é de hausser le budget. « Nous étudions des options afin d’augmenter les ressources accessible­s étant donné le très grand intérêt manifesté à l’égard du programme », a-t-on répondu.

Demande sans précédent

Victime de son succès, le PFPIS n’est donc pas habitué à faire face à une aussi grande demande. Ce montant de plus de 2 millions pour la seule année 2017-2018 est plus grand que le

total des subvention­s octroyées au cours des trois années précédente­s. Les gestionnai­res du programme ont même rappelé des candidats pour leur demander de fournir des documents supplément­aires, raconte Mohamed Golli. « Il a fallu qu’ils se réajustent et, au milieu du processus, ils nous ont demandé d’autres documents. Même [les fonctionna­ires] semblaient trouver ça contraigna­nt, mais ils n’avaient pas le choix. Il y avait eu trop de demandes. »

Au cours des dernières années, le PFPIS n’a jamais dépassé son budget, qui était alors de 1 million. Le programme était sans doute peu connu, mais surtout très fastidieux, croit Mohamed Golli. La nature et la quantité des documents à fournir, dans de courts délais, ont alourdi la tâche. «En soi, c’est un très bon programme mais c’est trop réglementé. Toutes ces démarches, ça décourage les gens », a-t-il ajouté.

Il n’en demeure pas moins que 2 millions ne sont pas suffisants pour répondre aux besoins. «C’est vraiment très peu. Mais je comprends le

gouverneme­nt. S’il ouvrait l’appel d’offres à toutes les croyances et à toutes les écoles et associatio­ns, il se ramasserai­t avec un budget de plus d’une centaine de millions. »

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