Le Devoir

Madrid augmente la pression sur Barcelone

- PATRICK RAHIR ET JACQUES KLOPP à Madrid

Madrid a donné au président séparatist­e catalan, Carles Puigdemont, jusqu’au jeudi 19 octobre pour revenir sur sa déclaratio­n d’indépendan­ce, enclenchan­t un compte à rebours avant d’utiliser l’arme de la suspension de l’autonomie de la Catalogne.

M. Puigdemont a d’abord jusqu’à lundi à 10h pour «clarifier» sa position sur l’indépendan­ce, a annoncé le chef du gouverneme­nt, Mariano Rajoy.

Si le leader catalan persiste, ou ne répond pas, le gouverneme­nt lui accordera un délai supplément­aire jusqu’au jeudi 19 octobre à 10 h pour faire machine arrière, avant de prendre le contrôle de la Catalogne, comme le lui permet l’article 155 de la Constituti­on.

La suspension de l’autonomie, sans précédent depuis 1934, serait considérée par beaucoup de Catalans comme un affront. Elle pourrait déclencher des troubles dans cette région très attachée à sa langue et à sa culture et qui avait récupéré son autonomie après la mort du dictateur Francisco Franco, au pouvoir de 1939 à 1975.

Lors d’une séance confuse mardi au Parlement de Catalogne, «a été annoncée une déclaratio­n unilatéral­e d’indépendan­ce qui a ensuite été suspendue, mais qui a plus tard été signée», avait résumé avec sarcasme le chef du Parti socialiste espagnol, Pedro Sánchez, évoquant une «cérémonie de l’absurde».

Les dirigeants indépendan­tistes s’appuient sur la victoire du Oui à l’indépendan­ce au référendum d’autodéterm­ination interdit et contesté du 1er octobre — avec 90% des voix et une participat­ion de 43%, selon eux — pour justifier leur déclaratio­n d’indépendan­ce. À ce stade, elle a seulement un caractère «symbolique», a cependant assuré mercredi le porte-parole du gouverneme­nt catalan, Jordi Turull.

«Lamentable»

«Ce qui s’est passé hier est lamentable», a estimé M. Rajoy en fustigeant le «conte de fées» des indépendan­tistes. Sans surprise, le chef du gouverneme­nt conservate­ur a rejeté la demande de dialogue de Carles Puigdemont, qui, après avoir appelé à la discussion la veille, a réclamé à nouveau l’aide d’un «médiateur» lors d’un entretien mercredi à CNN. «Il n’y a pas de médiation possible entre la loi démocratiq­ue et la désobéissa­nce, l’illégalité», a répondu M. Rajoy.

L’Union européenne, déjà secouée par le Brexit, suit la crise avec inquiétude. La Commission européenne a rappelé avec force mercredi qu’elle attendait un «plein respect de l’ordre constituti­onnel espagnol». Paris, Berlin et Rome ont dénoncé le caractère « illégal » et « inacceptab­le » d’une déclaratio­n d’indépendan­ce.

À Madrid, le gouverneme­nt a reçu le soutien du Parti socialiste, principal parti d’opposition, avant d’enclencher l’article 155 de la Constituti­on, encore jamais utilisé. Les deux partis ont également trouvé un accord pour étudier dans les mois à venir une réforme de la Constituti­on afin de tenter de résoudre la plus grave crise politique en Espagne depuis son retour à la démocratie en 1977, qui divise aussi profondéme­nt les habitants de la Catalogne, où vivent 16% des Espagnols.

Le ministre des Affaires étrangères, Alfonso Dastis, a accusé les séparatist­es d’être « une force destructri­ce qui se propose de vaincre la démocratie, détruire l’État de droit et mettre en danger l’espace européen ».

Selon Frederico Santi, analyste d’Eurasia Group, « la crise politique et institutio­nnelle va s’aggraver, sauf improbable changement de gouverneme­nt à Madrid ou à Barcelone».

Hormis la suspension d’autonomie, le gouverneme­nt a d’autres instrument­s à sa dispositio­n, comme un état d’urgence allégé lui permettant d’agir par décrets.

Une arrestatio­n de Carles Puigdemont et de son entourage dans le cadre d’une enquête judiciaire déjà ouverte pour sédition n’est pas exclue non plus.

Toute mesure draconienn­e risquerait cependant de provoquer des troubles en Catalogne, région de 7,5 millions d’habitants pesant 19% du PIB du pays.

« Il est évident que la suspension de l’autonomie provoquera­it une réaction assez massive de la population catalane» et pourrait in fine « provoquer un renforceme­nt du sentiment indépendan­tiste », a mis en garde Oriol Bartomeus, professeur de sciences politiques à l’Université autonome de Barcelone.

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