Surfer sur la chute des nababs. L’effondrement du producteur américain Harvey Weinstein montre les piliers du palais hollywoodien en train de s’effriter. La chronique d’Odile Tremblay.
L’effondrement du producteur américain Harvey Weinstein, sous scandales sexuels divers, montre les piliers du palais hollywoodien en train de s’effriter.
L’homme de couenne, de griffe, de main baladeuse et de flair maîtrisait l’art d’imposer ses poulains dans la course aux Oscar, quand des courtisans tremblants balayaient ses traces de brutalité. Des femmes victimes, stars ou pas, ont parlé ; le New York Times a publié: la grosse tête est tombée. Pas la chute de la Bastille, mais presque.
Les magnats de tous poils, au sport, en affaires et partout, ont obtenu longtemps l’impunité du droit de cuissage et d’humiliation de leurs subalternes. Si l’omnipotent Harvey Weinstein n’a pas été dénoncé plus tôt, c’est que le fruit n’était pas mûr et les abus de pouvoir trop enracinés. Mais les statues s’écroulent d’un coup quand les temps changent.
Des modèles à redéfinir
On a beau craindre de voir s’effacer la mémoire du passé sous frottement des plaques tectoniques, reste que des lumières s’allument dans cette ère numérique, que des modus vivendi marginaux lèvent la tête. Les petites structures dotées d’antennes ont moins à perdre que les grosses machines, sur les chemins d’avenir. Ça se sent à plein nez dans le secteur audiovisuel. Les grands festivals de films (Cannes et Toronto, pour ne pas les nommer) cherchent leurs assises: le public migre vers les séries sur Netflix ou ailleurs. La relève cinéphilique boude les classiques d’hier. Mieux vaut être un roseau qu’un chêne en pareilles zones de turbulence.
Au long de la semaine, je me disais ça en déambulant dans les coulisses et les salles du Festival du nouveau cinéma. Vieux rendezvous, certes (46 ans d’existence), mais hors establishment depuis sa naissance. Sa souplesse, son art de se faufiler entre les mailles du filet deviennent ainsi sa carte atout.
Nicolas Girard Deltruc, son directeur général, voit l’industrie paniquer face à l’avenir.
«La vague des changements est plus grosse pour les “établis”, qui se sont accordé des privilèges, estime-t-il. Au FNC, on peut essayer plus facilement de surfer sur cette vague-là en trouvant des mines d’or non explorées. Ce titre de “Nouveau cinéma” nous maintient à l’affût des images inédites, en réalité virtuelle comme ailleurs.»
L’expérience collective
Il me plaît bien, ce FNC. Son côté terre en friche attire aussi les jeunes publics.
On est heureux de s’y offrir, outre des oeuvres expérimentales de l’ombre comme le Unrest de Philippe Grandrieux, des films socialement engagés tel le Indian Horse de Stephen S. Campanelli ; en retour sur les ignobles pensionnats pour autochtones. Et pour le délassement, pourquoi pas un comique de légèreté décalée avec le Innocent de Marc-André Lavoie? Le film de montage d’archives de l’ONF La part
du diable de Luc Bourdon, chevauchant les années 1960, 1970, 1980 au Québec a divisé l’assemblée. Il m’a semblé éparpillé, d’autres se disaient en état de choc au spectacle de ces brûlantes et défuntes années contestataires revivant à l’écran. Les points de vue s’entrechoquent après les premières à l’Impérial.
Très stimulant: le documentaire Sea Sorrow de l’actrice activiste britannique Vanessa Redgrave. L’ancienne star de Blow Up est assez âgée pour pouvoir relier les affres des migrants d’aujourd’hui aux exodes entourant la Seconde Guerre mondiale, collés à ses souvenirs d’enfance: tout est question de regard posé sur la détresse des autres, nous dit-elle en substance. Yeux et coeurs, soit ouverts, soit fermés. Sa générosité personnelle nous réchauffe.
À la croisée des chemins, le FNC. Pas seulement parce que Claude Chamberlan (qui l’aura gardé jeune et fou) quitte la barre de sa programmation, mais à cause des mutations en cours. «Nous, on croit au pouvoir de l’expérience collective devant l’écran», lance Nicolas comme un appel d’air. À l’ouverture du FNC, le gros tapis rouge du Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve a braqué les projecteurs sur eux. Ça bouge.
Davantage de films de genre cette année, on constate, émergés de leur section Temps 0 pour essaimer partout. Philippe Gajan, nouveau directeur de la programmation, rappelle que dans les autres festivals aussi, les films teintés d’horreur et de fantastique ont pris de la graine. Vrai !
«Toute une génération de cinéastes et de cinéphiles, née avec les films sur vidéocassettes, a grandi avec le cinéma de genre, dit-il. Il n’y a plus de hiérarchie au septième art comme avant, mais une tendance à hybridité, aux cloisons rompues. »
Je l’écoute parler d’un volet compétitif à dynamiser, hors des gros films déjà primés à Cannes qui ont longtemps empêché cette section du FNC de trouver sa couleur de légèreté. À ses yeux, l’un des grands défis d’avenir des festivals constituera à maintenir un public en salles. Question d’aura. Reste à les allécher.
Gardez-le à l’échelle humaine, un peu décalé, a-t-on envie de leur conseiller. S’il s’institutionnalise et goûte aux privilèges des riches et des puissants, une mauvaise chute est si vite arrivée…