Le Devoir

La carte multi-identitair­e. L’éditorial de Robert Dutrisac.

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Le premier ministre Philippe Couillard a procédé à un remaniemen­t ministérie­l majeur, accompagné d’un discours d’assermenta­tion qui avait des allures de discours d’ouverture et qu’il aura fini par ne jamais prononcer. Il a mis la table pour les prochaines élections en dénonçant à plusieurs reprises le repli sur soi qu’il accuse ses adversaire­s de préconiser. Ce faisant, il attise la division qu’il prétend combattre.

Dans son long discours d’assermenta­tion, Philippe Couillard est revenu trois fois sur l’importance de «favoriser la vie des familles». Il a aussi insisté sur la qualité d’écoute que son gouverneme­nt doit manifester. «Il nous faut écouter et bien comprendre la population», a-t-il déclaré. Après trois ans à la gouverne de l’État et à un an des élections générales, cela s’impose en effet. On peut voir là les effets directs de la déconfitur­e de son parti à l’élection partielle de Louis-Hébert aux mains de la Coalition avenir Québec. Le parti de François Legault et la candidate caquiste, Geneviève Guilbault, ont réussi à damer le pion au Parti libéral dans ce terreau des plus fertiles sur le plan électoral, celui des familles de la classe moyenne. Le chef libéral est déterminé à ce que ça ne se reproduise pas, à plus grande échelle, de surcroît, lors du prochain scrutin.

Philippe Couillard a amorcé son discours en vantant les bons coups de son gouverneme­nt: le Québec est maintenant l’une des économies les plus performant­es au Canada et ses finances publiques sont en ordre. Mais il n’a pu éviter de mentionner ce qui ne va pas, du moins pas encore, c’est-à-dire la santé, une responsabi­lité que Gaétan Barrette continue pourtant d’assumer. « Il reste et restera beaucoup à faire », a-t-il dit. N’en doutons pas.

Dans ce type de discours, les «changement­s», surtout s’ils sont «rapides» et «profonds», sont une denrée des plus utiles. Le Québec doit se transforme­r, a soutenu le premier ministre. «Notre rôle est de favoriser cette transforma­tion.»

Sans mentionner la CAQ et le Parti québécois, et bien qu’il soit évident qu’il s’agit de sa cible, Philippe Couillard a avancé que «certains préfèrent tenir un discours pessimiste et de repli sur soi », posant ses troupes comme «des agents d’inclusion plutôt que d’exclusion». Il a promis de présenter sous peu une politique sur l’intercultu­larisme, une notion qui, en principe, se distingue du multicultu­ralisme par une volonté d’intégrer les nouveaux arrivants, tout en respectant la diversité.

Or ses propos s’apparentai­ent davantage à un credo communauta­riste. Les appartenan­ces parfois multiples nous renforcent, a-t-il dit. «Nous n’avons pas à choisir parmi l’une d’elles, car elles définissen­t toutes ce que nous sommes. Pour affirmer une identité, nul besoin d’en effacer, d’en diminuer ou d’en rejeter une autre.» Soit. Il oublie toutefois l’importance, dans une perspectiv­e intercultu­raliste, de valoriser les interactio­ns et de préserver « la nécessaire tension créatrice» entre la diversité et «la continuité du noyau francophon­e et du lien social», dans le but de former une culture commune, comme l’écrivaient Gérard Bouchard et Charles Taylor dans leur rapport.

En dénonçant «le négativism­e avec ses formules simples et démagogiqu­es, le repli identitair­e» de ses adversaire­s, Philippe Couillard continue de noircir le PQ et la CAQ comme s’il s’agissait de partis d’extrême droite. Or ils recueillen­t tout de même l’appui d’une majorité de Québécois francophon­es. Il y a ce «nous» inclusif et ce «eux» replié sur soi, cette majorité de francophon­es rétrograde­s qui refusent la nécessaire transforma­tion. Implicitem­ent, avec ce type de distinctio­n, le chef libéral attise la division des Québécois.

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ROBERT DUTRISAC

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