Le Devoir

Le Montréal musulman en autobus

Un centre communauta­ire propose un tour guidé pour lutter contre les préjugés

- LISA-MARIE GERVAIS

Pour combattre les préjugés et l’islamophob­ie, un organisme communauta­ire financé par les jésuites propose un tour guidé pour mieux faire connaître les différents visages de l’islam dans la métropole. Bienvenue dans le Montréal musulman.

«Un, deux, un deux», la guide teste son micro qui sonne comme une boîte de conserve et ça rigole. On redevient toujours un peu des enfants dans un autobus scolaire. À bord, des jeunes et davantage de moins jeunes, des étudiants et des universita­ires curieux, des croyants et des athées, quelques quidams, un béret et un foulard.

«On a d’abord pensé le circuit pour qu’il s’adresse à notre public naturel. Des Québécois et des Québécoise­s, à majorité francophon­e, et qui n’ont pas les cheveux qui se dressent en voyant un hidjab », convient Mouloud Idir, responsabl­e du secteur Vivre ensemble au Centre justice et foi, organisme qui publie la revue Relations et qui s’intéresse depuis 30 ans aux questions d’immigratio­n.

Voilà un an qu’il planche sur l’idée d’une activité explorant les contours de cette « islamité québécoise» en collaborat­ion avec Montréal Exploratio­ns, une OBNL à mission éducative spécialisé­e dans les circuits d’exploratio­n urbaine. Après tout, on balade bien les touristes dans le quartier des juifs hassidique­s ou le PlateauMon­t-Royal de Michel Tremblay. Alors en cette période où le Québec connaît une poussée d’intoléranc­e, en particulie­r envers l’islam, pourquoi ne pas s’intéresser à la diversité musulmane à Montréal? «Je suis venue parce ces questions d’immigratio­n et de racisme m’intéressen­t », explique Sophie Benoît, étudiante à la maîtrise. «C’est le fun de visiter un quartier qu’on ne connaît pas sous cet angle. »

Mais Mouloud Idir insiste : il ne s’agit pas de dire aux gens quoi penser. « On sent que les gens se questionne­nt énormément et c’est pourquoi on

a voulu réfléchir avec eux. Qu’est-ce que c’est de penser que l’islam fait partie du paysage matériel? Nous sommes l’une des rares organisati­ons religieuse­s du milieu communauta­ire à prendre le sujet à bras-le-corps.»

Les cimetières, la radicalisa­tion, la place des femmes… Durant trois heures, on parlera de tout, sans tabou. L’idée du circuit, qui comprend en après-midi des échanges et une activité de bibliothèq­ue vivante, est de déboulonne­r les mythes et les préjugés. Il y a 9 % de musulmans à Montréal, selon les résultats du recensemen­t incomplet de 2011 rapportés dans le dépliant remis aux participan­ts. «Mais ce ne sont pas tous des croyants. Beaucoup ignorent que plus de la moitié des musulmans ne vont pas à la mosquée », prend le temps de préciser la guide, Catherine Browne, donnant du même coup le ton à la visite.

On veut essayer d’atténuer le poids de la variable religieuse et ethnique. On veut faire entrer des éléments d’ordre sociologiq­ue et parler des gens, de leurs parcours migratoire­s. Ça donne plus de justice à ce que c’est. Mouloud Idir

Atténuer la religion

Premier arrêt, le Petit Maghreb. Sur Jean-Talon, l’artère commercial­e qui anime le quartier du Petit Maghreb, les cafés où on fume la chicha et les boucheries halal côtoient la lainerie Lépine et la poissonner­ie Castel. « Ici, 80 % des Maghrébins sont musulmans. Un très grand pourcentag­e parle français et ils sont très scolarisés, 41% possèdent un grade universita­ire», souligne Mme Browne.

Après être passé devant deux petites mosquées, l’autobus tourne sur une avenue. « Là, les pâtisserie­s sont très bonnes », me souffle Mouloud Idir, en pointant un petit commerce de coin de rue. La gourmandis­e est le premier passeport vers les autres cultures. «Mais au-delà des restos et cafés, il faut voir la capacité des gens à se réinventer», souligne cet Algérien d’origine. Il ne se cache pas qu’il est las des clichés, des regards qui ne s’attardent qu’à ce qui est différent. « On veut essayer d’atténuer le poids de la variable religieuse et ethnique. On veut faire entrer des éléments d’ordre sociologiq­ue et parler des gens, de leurs parcours migratoire­s. Ça donne plus de justice à ce que c’est.»

Bochra Manaï, qui a fait un doctorat en études urbaines sur ce quartier, abonde. « Il y a tout un vécu identitair­e des gens qui est kidnappé par le discours sensationn­aliste », constate-t-elle.

Deuxième arrêt: Parc-Extension

L’autobus file maintenant vers l’ouest, sur Jean-Talon, dans Little India, où l’odeur de cari chatouille délicieuse­ment les narines en ce samedi pluvieux. Une grosse cage faite de grillage de clôture grise trône au milieu d’un parc. « C’est pour s’entraîner au cricket», lance la guide. Plus loin, le marché Macca, une épicerie « pakistanai­se-indienne-canadienne », déclenche les rires. On est bel et bien à Parc-Ex. Car « tous les musulmans ne sont pas arabes et tous les Arabes ne sont pas musulmans », rappelle notre guide.

L’autobus passe devant la mosquée Assuna Annabawiya­h, que le Pentagone aurait associée à al-Qaïda il y a quelques années, selon les révélation­s des journaux. Le prétexte est bon pour parler de la couverture des médias, qui sont accusés de ne montrer qu’un côté de la réalité. Existe-t-il vraiment un « Montréalis­tan », concept étayé dans un livre par un journalist­e d’enquête? La guide s’en tient aux faits, parle des résultats des recherches sur la radicalisa­tion et émet des doutes. Quelques minutes plus tard, une dame demandera à descendre de l’autobus. Le mystère demeure entier sur les raisons de son départ. Était-elle choquée ou avaitelle simplement autre chose à faire? « Les gens qui sont venus ici se posent des questions et c’est déjà bien », a lancé Mouloud Idir, qui ne veut présumer de rien.

Plus de mosquées

L’autobus jaune s’est frayé un chemin jusque dans Côte-des-Neiges, où la vue d’un cimetière juif a permis d’aborder la question sensible des lieux de sépulture des musulmans. Des mosquées dans d’anciens ateliers de carrosseri­es ou au deuxième étage d’un bar de téquila ont fourni l’occasion de réfléchir aux règlements de zonage.

En fin de parcours, le clou de la visite fut certaineme­nt la mosquée Al Islam du Centre islamique du Québec, dans l’arrondisse­ment SaintLaure­nt, la première mosquée au Québec (1965). Le bâtiment original a fait place à une constructi­on plus récente, ornée d’un petit dôme vert et d’un minaret. «La seule qui ressemble à une vraie mosquée », a lancé un participan­t. « J’aurais beaucoup aimé la visiter », s’est désolée Gilda Elmaleh, une juive marocaine retraitée de l’UQAM. Elle n’en a pas moins aimé son petit voyage. « J’aime ce genre d’activités qui permettent de réfléchir. Je connaissai­s déjà le Petit Maghreb, mais ça m’a passionnée de découvrir toutes les facettes de la communauté musulmane. » Même qu’elle souhaitera­it voir, au même titre que les synagogues et les églises, davantage de « belles mosquées » dans le paysage montréalai­s, «pas juste des bâtiments qu’on cache ». Et ainsi découvrir une islamité bien québécoise, dont on se contente, pour l’instant, de parcourir les contours en autobus.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les participan­ts de l’activité ont fait un arrêt à la mosquée Al Islam, dans l’arrondisse­ment Saint-Laurent, la toute première mosquée au Québec, construite en 1965.

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