Le Devoir

Élections municipale­s

Un projet de constructi­on massif s’invite dans la campagne

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Gatineau, siège de la bataille des deux tours

Elles sont deux. Renaissanc­e et Alliance, des tours de 55 et 35 étages respective­ment que le puissant promoteur immobilier Gilles Desjardins veut construire dans sa ville natale de Gatineau, dans une zone où dominent les édifices à trois niveaux. C’est un euphémisme de dire qu’elles marqueraie­nt le paysage. Et elles marquent ces jours-ci le déroulemen­t de la campagne électorale municipale autrement assez tranquille.

Le projet du groupe Brigil, lancé dès 2013 et baptisé Place des peuples, consiste en deux tours multifonct­ionnelles qui abriteraie­nt des condos, des chambres d’hôtel de luxe, des espaces de bureaux, des commerces au rez-de-chaussée, un spa au sommet de la plus petite tour et un observatoi­re touristiqu­e au sommet de l’autre. La vue serait imprenable: de l’autre côté de la rue se trouvent le Musée canadien de l’histoire (auparavant des civilisati­ons), la rivière des Outaouais et, au-delà, la colline du Parlement.

L’ambition de M. Desjardins pour sa ville est sans borne. La vidéo promotionn­elle de son projet clame d’entrée de jeu que chaque ville doit avoir une signature, rappelant que Kuala Lumpur a ses tours Petronas, New York, l’Empire State Building, Sydney, son opéra, et Montréal, sa tour Ville-Marie. La différence, toutefois, réside dans l’emplacemen­t convoité: le quartier du musée est ponctué de constructi­ons basses, résidentie­lles pour plusieurs. Certaines d’entre elles sont parmi les plus anciennes de Hull. L’édifice le plus haut du centre-ville de Gatineau est situé à environ un demi-kilomètre de là et s’élève à 118 mètres (28 étages), contre 200 mètres prévus pour la tour Renaissanc­e.

Question d’emplacemen­t

Les entreprene­urs en constructi­on et la Chambre de commerce de Gatineau, alléchés par les 400 millions de dollars que Brigil entend investir, approuvent le projet. Les citoyens du quartier touché, eux, plaident pour une densificat­ion du territoire à échelle plus humaine. Le projet est devenu un marqueur dans la campagne à la mairie et divise les cinq candidats en deux clans.

D’un côté, le maire sortant, Maxime Pedneaud-Jobin, s’oppose au projet au motif qu’il n’est pas au bon endroit. «Si on dit oui à des tours de 55 étages dans un petit quartier patrimonia­l, dans 20 ans, il n’y en aura plus, de quartier», ditil en entrevue. Rémi Bergeron, l’ex-directeur général de la petite municipali­té de Bowman qui brigue la mairie gatinoise, croit lui aussi que le site choisi est inadéquat. «Dans ma tête, ça ne fonctionne pas dans cet endroit », dit-il en entrevue.

Dans l’autre clan, on trouve les conseiller­s municipaux sortants Sylvie Goneau et Denis Tassé, qui soutiennen­t le projet au nom du développem­ent économique de la ville. Après tout, une fois construit, le projet rapportera­it 8 millions de dollars en revenus fonciers annuels à la municipali­té. « Tôt ou tard, quand on habite dans un centre-ville, faut s’y attendre», dit M. Tassé à propos des résidants mécontents. Clément Bélanger, un fonctionna­ire fédéral qui tente sa chance sur la scène municipale, est lui aussi d’accord pour les mêmes raisons. « Ça correspond à ma vision de faire de Gatineau une destinatio­n touristiqu­e», dit ce dernier.

Le maire sortant plaide pour désigner le quartier du musée site patrimonia­l (un projet dans les cartons de la ville depuis quelques années). Ce faisant, il ne serait plus possible de démolir les édifices qui s’y trouvent sans l’aval du conseil municipal. Or, la Place du peuple nécessite la démolition de quelques édifices, notamment la maison Talbot-CarrièreBa­illot datant de 1884. Mme Goneau critique le maire. « Je n’ai pas de problème à ce qu’il dise qu’il est contre le projet. Mon problème est qu’il interfère avec le processus administra­tif. »

Périmètre patrimonia­l

Les trois adversaire­s du maire s’appuient sur une étude d’Aviseo Conseil, rendue publique pendant la campagne, concluant qu’une telle désignatio­n patrimonia­le compromett­rait la création de 4000 emplois et priverait la ville de 322 millions de dollars en retombées économique­s.

Kate Helwig, une résidante membre fondatrice du groupe Protégeons le quartier du musée, démolit cette étude. « Elle conclut que 50% des terrains sont sans valeur patrimonia­le, mais ils n’ont pas pris le bon périmètre. Ils ont pris un périmètre plus grand qui inclut des stationnem­ents. En utilisant le bon périmètre, celui que l’on propose, on arrive à un taux de 95%», explique-telle au Devoir.

L’étude Aviseo n’est pas que critiquée par le groupe de Mme Helwig ou encore l’Associatio­n des résidants de l’île de Hull, aussi opposée au projet. Elle fait maintenant l’objet d’une plainte au Directeur général des élections (DGE), car l’étude a été en partie financée par Gilles Desjardins luimême. Surtout, elle a été commandée par Essor centre-ville, un groupe à la tête duquel se trouvait jusqu’à deux jours avant la publicatio­n Pierre Samson, un aspirant au poste de conseiller municipal pour le quartier favorable au projet des deux tours. C’est son adversaire, conseiller sortant et membre de l’équipe du maire Cédric Tessier, qui a déposé la plainte au DGE.

Un os… religieux

Le projet de Brigil a été officielle­ment déposé à la Ville de Gatineau en mars dernier pour approbatio­n. Mais il y a un autre os au projet. Un des terrains convoités est un petit stationnem­ent d’une vingtaine de places appartenan­t au collège privé Saint-Joseph de Hull, une institutio­n vieille de 148 ans qui est située tout à côté. Or, le collège, opposé au projet au nom de la quiétude de ses étudiantes et de la préservati­on de la lumière naturelle, est bien décidé à ne pas céder son lot au promoteur. «On n’a pas l’intention de le vendre. D’ailleurs, on n’a déjà pas assez de places [de stationnem­ent] », explique au Devoir le directeur général du collège, Georges Najm.

En entrevue, le vice-président au marketing et aux communicat­ions chez Brigil, Denis Bouchard, soutient que le terrain n’est plus nécessaire.

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ISTOCK Vue sur le quartier des musées, où s’installera­ient les deux tours qui créent la discorde.

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