Le Devoir

Le Monde › Trump, l’Iran et la réalité. Une chronique de François Brousseau.

- François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Radio-Canada. francobrou­sso@hotmail.com FRANÇOIS BROUSSEAU

Pour ses partisans, Donald Trump est engagé dans une vaste entreprise de restaurati­on d’un passé révolu. Pour le tiers — très motivé et mobilisé — de l’opinion publique américaine qui soutiendra jusqu’au bout le blond milliardai­re populiste, cette restaurati­on passe par une démolition méthodique, systématiq­ue, de l’héritage du président précédent.

Si ça vient d’Obama, c’est du mauvais, du méchant, du Diable… et cela doit être dénoncé, combattu, démantelé.

On l’a vu dans les décrets sur l’immigratio­n «musulmane», et dans l’attaque contre la régularisa­tion des enfants immigrants, cause chère à Barack Obama. On l’a vu dans les tentatives répétées et ratées, au Congrès, d’abolir le régime d’assurance maladie de l’ex-président.

Et on le voit ces jours-ci dans les assauts de la Maison-Blanche sur l’ALENA et sur l’entente de 2015 qui a limité et encadré le programme nucléaire iranien, rare réussite diplomatiq­ue du gouverneme­nt sortant.

Dans tous ces cas, il est remarquabl­e qu’entre les promesses faramineus­es du candidat Trump («On va vous effacer tout ça d’un coup de baguette!») et l’action effective du président, il y a un monde.

Face à la réalité, Trump n’a pas voulu, ou — plus probableme­nt — n’a pas pu mener à bien ses projets de démolition. Les tribunaux, la société civile, un Congrès plus rétif qu’il ne l’aurait cru, sans oublier la simple résistance du réel, ont multiplié les obstacles.

Il n’est pas dit que certains de ses projets n’aboutiront pas. Donald Trump peut toujours réussir à dynamiter l’Obamacare, l’ALENA ou l’accord internatio­nal sur le nucléaire iranien. Mais on voit bien que la résistance est plus forte que prévu…

Qu’adviendra-t-il, tout particuliè­rement, de cet accord sur le nucléaire iranien, que Trump a «décertifié» vendredi, en accablant une fois de plus l’Iran pour avoir «violé l’esprit de l’accord»?

Pour M. Trump, Téhéran «ne respecte pas» ses obligation­s découlant du texte négocié à Genève et signé à Vienne en juillet 2015. Il a — sans toutefois le faire — menacé «d’annuler» cet accord et a plutôt demandé au Congrès de « combler les graves et nombreuses lacunes du texte».

L’approche de Trump, dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres, repose sur une présomptio­n erronée de toute-puissance: que ce soit celle de la Maison-Blanche dans le processus législatif, ou celle des États-Unis quant au reste du monde. Et sur une ignorance crasse de la diplomatie, du contenu des textes et de l’objectif réel des ententes signées.

Il faut rappeler que l’accord sur le programme nucléaire de Téhéran n’est pas un pacte bilatéral entre l’Iran et les États-Unis. Le suspense créé autour de la «certificat­ion» ou non, par la Maison-Blanche, de la «conformité» de Téhéran est une constructi­on américano-américaine: rien à voir avec une obligation internatio­nale.

Et puis, même si le point de vue des États-Unis sur cet accord est important, Washington n’a qu’une signature sur sept, et l’avis de la MaisonBlan­che n’a pas de valeur légale par rapport à un document internatio­nal validé par l’ONU.

Quant à la «non-conformité» alléguée par Donald Trump, elle n’a rien à voir avec les obligation­s de Téhéran décrites dans l’accord.

De l’avis général — et tout d’abord selon l’AIEA, l’Agence onusienne de contrôle de l’énergie atomique —, Téhéran s’est conformé et continue de se conformer scrupuleus­ement à ses obligation­s en matière de démantèlem­ent, de stockage, de production de matières fissiles, d’inspection­s, etc.

Trump en veut à l’Iran pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’accord: parce que Téhéran est une puissance régionale au MoyenOrien­t (intolérabl­e pour Israël), a un programme militaire convention­nel (missiles), intervient en Syrie (et aussi en Irak… du même bord que Washington!), réprime les femmes et les dissidents, etc.

L’accord de 2015, miracle de diplomatie, reposait précisémen­t sur une dissociati­on stricte entre les aspects proprement nucléaires (bloquer la proliférat­ion) et un prétendu «certificat général de bonne conduite» accordé ou non à l’Iran. Pour n’avoir rien pu, ou rien voulu comprendre à cela, le «grand démolisseu­r» risque aujourd’hui de déclencher une seconde crise nucléaire, alors que la Corée du Nord devrait capter toute son attention. Mais «l’attention», on le sait, n’est pas le fort de Donald Trump.

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