Métissage ou repli sur soi ? Une chronique de Louise Beaudoin.
Enchâssé dans la Constitution canadienne depuis 1982 par l’article 27 de la Charte canadienne des droits, le multiculturalisme comme modèle de gestion de la diversité au Canada démontre presque en continu ses excès et ses failles. Ce multiculturalisme et ses dérives ont été dénoncés, dès 1995, par le grand écrivain québécois Neil Bissoondath dans son essai Selling Illusions, et depuis par Boucar Diouf et tant d’autres.
Dans sa version extrême, celle que défend et incarne Justin Trudeau lui-même, le multiculturalisme conduit à la négation d’un socle commun. Or, il se trouve que ce socle, la plupart des Québécois, souverainistes ou non, cherchent depuis toujours à le pérenniser. Ce «patrimoine» englobe aujourd’hui la langue française, quatre siècles d’histoire, une culture spécifique, des institutions politiques, sociales et économiques distinctes telles que le Mouvement Desjardins, le Chantier de l’économie sociale et la Caisse de dépôt: un ensemble qui constitue le « modèle québécois ».
Dans ce Canada devenu un état postnational — comme se plaît à le dire son premier ministre — où vivent côte à côte les communautés et où «il n’y a pas d’identité fondamentale, pas de courant dominant», il n’y a donc pas de place pour la nation québécoise. Justin Trudeau lui-même, en 2007, un an après l’adoption par la Chambre des communes d’une motion, pourtant sans portée concrète, qui affirmait que les « Québécois forment une nation dans le Canada uni », la reniait tout simplement.
Selon sa vision, le Canada n’est que l’addition d’individus inclus de facto dans un des très nombreux groupes ethniques composant le pays, dont, parmi eux, les Canadiens français. Lui-même, dans son autobiographie, Terrain d’entente, raconte comment, en bon multiculturaliste, il est né Canadien français, et que, vivant à Vancouver, il est revenu à Montréal pour épouser une femme de son « ethnie », expliquant qu’il lui était difficile de s’imaginer passer le reste de sa vie avec quelqu’un qui ne partageait ni sa langue ni sa culture.
En son coeur même, le multiculturalisme est une arme politique déjà utilisée par Trudeau père pour mieux rejeter l’existence de la nation québécoise dans un ensemble plus vaste, où elle ne peut qu’être niée, banalisée, marginalisée. Le multiculturalisme « hardcore » s’attaque insidieusement à l’image qu’ont les Québécois d’euxmêmes pour constamment les ramener au statut de minorité comme les autres au sein du Canada.
Il n’est donc pas étonnant de voir l’insécurité identitaire gagner du terrain au Québec et prendre, dans certains cas, la forme de la peur irrationnelle et du rejet de l’autre. Comment peut-on être confiant quant à l’avenir et croire que la nation n’est pas appelée à disparaître d’ici quelques générations si, dès aujourd’hui, d’aucuns décrètent qu’elle n’existe déjà plus ?
Pourtant, il y a d’autres façons de gérer la diversité dans nos sociétés. Commençons — urgemment — par déconstruire la « ségrégation scolaire » qui afflige certaines de nos écoles, particulièrement à Montréal, et qui perpétue les fractures entre la majorité et les minorités! Dans trop d’écoles, la «majorité francophone de vieille ascendance» — dixit Gérard Bouchard — est absente ou presque. La mixité scolaire doit devenir la norme, sinon comment se connaître et se reconnaître, comment sortir de l’entre-soi, comment espérer construire une citoyenneté commune? Pour y arriver, de vigoureuses politiques publiques en matière d’urbanisme, de retour de familles franco-québécoises sur l’île de Montréal et de répartition des nouveaux arrivants sur tout le territoire s’imposent.
Il y a aussi bien sûr la laïcité à instaurer, projet aujourd’hui inachevé, parce que, quoiqu’en disent les bien pensants de droite comme de gauche, elle stimule l’inclusion, le rapprochement interculturel et la cohésion sociale. La laïcité libère et émancipe: comment oublier que le Québec s’est modernisé en se laïcisant au moment de la Révolution tranquille? À ces deux éléments doit s’ajouter l’adoption d’une nécessaire nouvelle loi 101 qui étendrait l’obligation de franciser les entreprises de plus petite taille pour favoriser en milieu de travail l’intégration et l’échange.
Le métissage issu d’une telle approche ressemble à une belle utopie? Sûrement, mais cette vision est autrement plus progressiste, plus humaniste, plus porteuse d’espoir que celle d’un multiculturalisme régressif. Enfin aurons-nous en commun plus que nos différences! Et peut-être même réussirons-nous tous ensemble à poursuivre notre aventure collective en Amérique.
Le multiculturalisme est une arme politique déjà utilisée par Trudeau père pour mieux rejeter l’existence de la nation québécoise dans un ensemble plus vaste