Le Devoir

Le Monde › Double attentat meurtrier en Somalie. La mouvance djihadiste conserve son pouvoir.

- MARIA MALAGARDIS

Le double attentat qui s’est déroulé samedi à Mogadiscio est le plus meurtrier de l’histoire du pays. Il témoigne aussi de la puissance mortifère d’une mouvance djihadiste qui conserve intact son pouvoir de nuisance malgré les reculs sur le terrain et l’aide récente de l’armée américaine.

Une fois de plus, Mogadiscio a été le théâtre de scènes sanglantes ce week-end: samedi, deux camions piégés ont décimé, à deux heures d’intervalle, deux quartiers populaires de la capitale somalienne.

Le bilan, qui s’est alourdi au fil des heures, fait de ces attentats les plus meurtriers de l’histoire pourtant déjà sanglante du pays: au moins 276 morts et plus de 300 blessés, selon le dernier bilan diffusé par l’agence AP. Les images du quartier de PK5 et de celui de Medina qui circulaien­t ce dimanche sur les réseaux sociaux évoquent des scènes de guerre et

soulignent l’impact incroyable des déflagrati­ons qui, cette fois-ci, ne visent pas les lieux emblématiq­ues du pouvoir ou ceux qui accueillen­t les représenta­nts de la communauté internatio­nale.

Car les auteurs sont d’ores et déjà désignés: même si les attentats n’ont pas été encore revendiqué­s, tous les regards se tournent vers la nébuleuse des shebab («les jeunes» en arabe) qui après avoir perdu le contrôle de la capitale en 2011 gardent sous leur coupe de vastes zones rurales et démontrent régulièrem­ent leur pouvoir de nuisance.

L’an passé, les attentats attribués aux shebab avaient provoqué la mort de 4281 personnes. Mais cette année, cette organisati­on, divisée en

factions rivales qui revendique­raient 5000 combattant­s, a réussi à poursuivre son oeuvre de terreur. Dernier coup d’éclat sanglant: mijuin, un commando de six personnes a attaqué deux restaurant­s à Mogadiscio, capitale de la Somalie. En plein ramadan, 19 civils et cinq membres des forces de sécurité avaient alors été tués. En janvier, c’est une double attaque contre un hôtel du centre de Mogadiscio qui avait fait 28 morts. Plus récemment, début mai, les shebab avaient revendiqué un attentat à la voiture piégée contre un café de la capitale.

Défection

Comment se débarrasse­r des shebab? La création de cette mouvance, affiliée à al-Qaïda depuis 2012, mais désormais divisée entre factions, dont certaines souhaitera­ient le rattacheme­nt au groupe État islamique, remonte au milieu des années 2000, avec la fusion de plusieurs groupes islamistes somaliens qui vont s’emparer un temps d’une capitale déjà ravagée par dix ans de guerre civile. Chassés du pouvoir en 2011 avec l’appui de l’Amisom, la force mise en place par l’Union africaine, les shebab ont certes perdu du terrain. Leur chef, Ahmed Abdi Godane, sera d’ailleurs tué par un drone américain en 2014. Et aussitôt remplacé par Ahmed Umar Abou Oubaida.

Mi-août, les forces spéciales somalienne­s se félicitaie­nt pourtant

d’avoir exfiltré le numéro deux et ex-porte-parole du mouvement, Mukhtar Robow alias Abou Mansour, l’un des rares leaders somaliens à avoir rencontré Oussama Ben Laden en Afghanista­n. Robow venait de faire défection. Pourtant ni ce ralliement ni le renforceme­nt récent de l’aide militaire américaine, avec au moins deux opérations communes au sol de commandos américains, ne semblent venir à bout de la puissance mortifère des shebab. Fin juillet, le gouverneme­nt somalien avait également annoncé son intention de punir toute aide apportée aux islamistes par les commerçant­s somaliens qui pourraient voir leurs biens confisqués s’il est prouvé qu’ils se sont rendus dans les bastions des shebab. Reste à savoir comment assurer la sécurité de ceux qui sont soumis à leurs rançonneme­nts.

Et une fois de plus, l’impuissanc­e semble s’imposer pour le gouverneme­nt du président somalien Mohamed Abdullahi Mohamed, alias Farmajo, élu au début de cette année par une sorte de conclave de «grands électeurs», tant un scrutin démocratiq­ue ouvert à tous semblait impossible à organiser pour des raisons de sécurité. Aux prises avec une violence récurrente depuis 1991, date de la chute du dictateur Siad Barré, la Somalie reste l’un des points chauds les plus inquiétant­s sur une carte africaine gangrénée par les mouvements djihadiste­s, de la zone sahélienne jusqu’à la région du lac Tchad, proche du Nigeria. Les liens entre ces différents mouvements n’ont jamais été démontrés, mais leur enracineme­nt, malgré les actions multilatér­ales menées contre eux, reste une constante inquiétant­e.

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MOHAMED ABDIWAHAB AGENCE FRANCE-PRESSE Le bilan des deux attaques au camion piégé perpétrées samedi à Mogadiscio, en Somalie, s’est élevé dimanche à 276 morts et plus de 300 blessés.

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